Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

kim salmon

  • CHRONIQUES DE POURPRE 618 : KR'TNT 618 : KIM SALMON / EDDIE PILLER / LAWRENCE / THE HEAVY / MARTIN WEAVER / EUCHRIDIAN / GRAVE SPEAKER / SITUS MAGUS / NICOLAS UNGEMUTH

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 618

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 11 / 2023

     

    KIM SALMON / EDDIE PILLER / LAWRENCE

    THE HEAVY / WICKED LADY

    EUCHRIDIAN / GRAVE SPEAKER

    SITUS MAGUS / NICOLAS UNGEMUTH

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 618

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    ENTRONS DANS LA DANSE

    UN PEU EN AVANCE

    A CAUSE DES VACANCES !

     

     

    Wizards & True Stars

    - Kim est Salmon bon

    (Part Five)

     

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Il semblait logique qu’un vaillant saumon comme Kim Salmon vienne jouer sur un fleuve, en l’occurrence la Seine, oui, celle qui coule sous le Pont Mirabeau d’Apollinaire, grand admirateur des harengs qui sont, comme chacun sait, les cousins des saumons. Et pour couronner le tout, notre cute cat Kim s’accompagne de saumons fumés. Place au dadaïsme tutélaire ! L’occasion est trop belle d’associer ces deux grands prêtres de la modernité : Kim Apollinaire et Guillaume Salmon.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Mais nous avons un hic en travers de la gorge : Kim Salmon’s Smoked Salmon passe en première partie de Cash Savage, ce qui est un peu le monde à l’envers. C’est comme si on vendait au rabais quarante ans de prestige et une belle ribambelle de brillants albums. Dur à avaler, mais comme il faut bien faire contre mauvaise fortune bon cœur, disons que ça permet de voir Kim avec des oreilles bien fraîches. Qui dit première partie dit set plus bref. Notre vaillant saumon est d’ailleurs pris de court vers la fin du set, lorsqu’on lui dit qu’il ne reste plus que 6 minutes. «Fucking hell !», s’exclame-t-il, et il doit faire le Choix de Sophie, choisir entre ses blasters les plus précieux pour conclure. Donc pas de «We Had Love», qu’on entendait rocker the boat au soundcheck. Ce sera «Swampland» dans une version complètement faramineuse de légendarité, avec un cute cat Kim au sommet de son lard fumant, ah il faut le voir, le vieil Aussie de Perth claquer sa chique d’In my heart/ There’s a place called swampland, c’est encore plus dévastateur qu’en 1986, quand tomba du ciel l’album Weird Love, terrific classic ! Kim n’a rien perdu de cette fantastique bravado d’ampleur cathartique, de ce sens suraigu de la razzia furibarde, de ce goût inné du hit tentaculaire, il faut bien partir du principe que chaque cut de Kim est une vraie compo, portée par une double brioche de brio, chant et guitare. Kim est un wild king de la Tele, il télémaque son temps, il assure à la susurre, King Kim Salmon règne depuis le début des années 80 sur l’underground global et sa faune de globos. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             En début de set, il fait surgir du sol une énorme reprise de «Frantic Romantic» qui fut le premier single des Scientists paru en 1979, une sorte de petite perle power-pop inexorable devenue avec le temps un gros blaster scénique. Kim trime ses trames et contrefait ses contreforts, il élabore des dérobades et délite son déluge, c’est une pop incroyablement sophistiquée qui passe en force, on croit la connaître, mais on la découvre. On appelle ça un morceau de bravoure. Comment veux-tu qu’un groupe monte sur scène après Kim Salmon ? Ça paraît insensé. D’autant que les hits se succèdent, tous plus magistraux les uns que les autres, tiens, il annonce «Obvious Is Obvious», un fantastique cut dylanesque tiré d’Hey Believer, son premier album solo, une nouvelle merveille tétanique. Ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est qu’avec le cat Kim, le dylanex passe pour du salmonex, il dispose de ce génie qui lui permet de s’approprier les genres et d’en faire une affaire strictement personnelle, exactement comme le firent Jerry Lee ou Lux Interior qui s’appropriaient les cuts pour les digérer et en couler des bronzes tutélaires. Tu sens bien l’extraordinaire power dylanesque dans Obvious, et pourtant tu as ce démon de Kim sous les yeux, claquant son dévolu à la revoyure, avec un souffle qui te flatte l’intellect, il harponne ça d’une voix forte de stentor raunchy, c’est peut-être cette niaque permanente qui frappe le plus, ce power vocal qui lui permet de propulser chacun de ses cuts jusqu’au firmament. Impossible de ne pas faire de parallèles avec d’autres grands seigneurs de la scène, comme Greg Dulli ou Frank Black, ou encore des cadors du songwriting comme Chip Taylor. Le cute cat Kim navigue à ce niveau, il dégage sur scène une chaleur rayonnante qui est celle de l’excellence. Aux yeux de ses fans les plus anciens, Kim Salmon est une sorte de Graal du rock. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Son choix de cuts n’en finit plus d’édifier les édifices. Retour à la prédilection avec «Fix Me Up», un glamster qui date du temps béni de Kim Salmon & The Surrealists, eh oui, on se souvient tous de ces fabuleux albums qui n’intéressaient pas grand monde et qui étaient bourrés de hits et d’élégance, on pourrait presque dire la même chose des Beasts Of Bourbon, qui sont presque passés à l’as, à l’époque, et boom, Kim te claque «Cool Fire» tiré d’un vieux smash nommé Black Milk, le genre de vieux smash qu’on était tellement content de sortir d’un bac, chez Born Bad, au temps béni des vrais disquaires. Tu sortais ça avec les mains moites et tu en bavais d’avance, tu savais que le soir même, tu allais jerker au Palladium avec Tex et Kim. Il y a des cuts moins connus comme «Self Replicator», tiré d’un single passé à l’ass et en vente au merch, mais là, on s’enfonce dans les ténèbres imbroglionales de l’underground, tout ce qu’on peut en dire, c’est que Kim en fait une version sauvage, et à ce stade des opérations, il est impossible de ne pas éprouver un chagrin sincère pour le groupe suivant, car ce démon de Kim leur a déjà volé le show. Au petit jeu du monde à l’envers, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Alors profitons de cette occasion en or pour mettre le nez dans une fantastique box Scientifique, A Place Called Bad, parue en 2016. Quatre CDs bourrés de dynamite, dirait James Coburn. Comme toutes les box bien faites, celle-ci permet de faire le tour du propriétaire dans les meilleures conditions, et faire le tour des Scientists, ce n’est pas une mince affaire. Le disk 1 s’appelle ‘Cheap & Nasty: The Rise Of Perth Punk’, le disk 2 ‘Set It On Fire: Storming The Eastern States’, le disk 3 ‘When Words Collide: Cachet And Casualty In London’ et le disk 4 ‘Live Cuts’, mais comme il est cassé, on ne pourra pas l’écouter. Tant pis. Au fond, ce n’est pas dramatique, car avec les trois premiers disks, on se tape une belle overdose : le disk 1 est un volcan d’énergie fortement influencé par les Dolls, le disk 2 sent bon les Stooges et les Cramps, et le disk 3 se présente comme le summum du doom de gloom. Si tu ne l’as pas fait avant, là tu es obligé de prendre les Scientists très au sérieux. Cette box remet bien les pendules à l’heure. En gros, tu établis une sorte de confrérie suprême, c’est-à-dire la quadrature du cercle : Stooges, Cramps, Gun Club et Scientists. C’est aussi simple que ça. Avec des diagonales qui seraient les Dolls et le Velvet. Te voilà chez toi. Cette box est un peu ta maison.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Kim t’accueille avec «Frantic Romantic», ouverture de bal, la voix est déjà là, avec des échos de jingle jangle et ce chant punk-out. Quelle énergie ! Pas étonnant que ça tienne la route depuis quarante ans. Sur ‘Cheap & Nasty: The Rise Of Perth Punk’, les Dolls sont partout. Avec «Shake Together Tonite» on se croirait sur Too Much Too Soon, exactement le même swagger et les même clameurs de chant, c’est en plein dans le mille. Et un peu plus loin, Kim adresse un fabuleux hommage aux Saints avec «Bet Ya Lyin’». On voit tout de suite que les Scientists développent d’incroyables capacités à sonner comme leurs modèles. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Encore du Sainty Sound avec «Pissed On Another Planet». Vénérable et encore Dollsy en diable, ils tapent ça au heavy boogie de la déglingue. Tout est déjà vénérable chez Kim, c’est ce qu’il faut retenir de cette période. Il replonge dans les Dolls avec «I’m Looking For You», même tranchant, c’est très spectaculaire, peu de groupes ont su rendre hommage aux Dolls. Kim passe à la power pop avec «High Noon», fast et sans pitié, et soudain, le ciel te tombe sur la tête : «Teenage Dreamer» sonne vraiment comme «Sister Ray», avec de faux arrêts et une sorte de niaque vengeresse. Ce disk 1 s’achève avec deux coups de génie : «Making A Scene», tapé au dépoté de gros popotin de bassmatic, et «It’ll Never Happen Again», claqué du beignet, sans pitié pour les canards boiteux. Brillantissime.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Dans le booklet, Erin Osmon rappelle que Kim a démarré en écoutant le premier album des Modern Lovers, le premier Dolls, Raw Power et le Velvet. Au Western Institute of Technology, il rencontre l’excellent Dave Faulkner, futur Hoodoo Guru. Ils montent les Cheap Nasties en 1976. C’est le premier punk rock band de Perth. C’est en 1978 que Kim monte les Scientists avec le fan des Ramones James Baker (beurre) et Boris Sujdovic (bass). Puis ça splitte vite fait et James Baker intègre les Hoodoo Gurus. Kim tombe vite fait sous la coupe des Cramps et pond «Swampland» : «It’s [the Johnny Kidd & The Pirates] ‘Shakin’ All Over’ riff and some kind of pentatonic thing going downwards. I have these fractured urban guitars and the lyrics were just a thing to hang on them.»

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Alors justement, parlons-en ! «Swampland» t’accueille à bras ouverts sur ‘Set It On Fire: Storming The Eastern States’, l’in my heart te cueille à l’accueil, ça bassmatique férocement, Kim te monte ça en neige et ça prend feu sous tes yeux, admirable d’in my heart, on est comme marqué au fer rouge, à l’époque, et quarante ans plus tard, Kim sabre le goulot de son set à coups d’in my heart. Ça explose, même si c’est joué sous le boisseau. Voilà le genre de cut qui supporte bien la surchauffe d’une Tele, celle de Télémaque Salmon, et boom, il enchaîne aussi sec avec «We Had Love», le hit Scientific par excellence, le pur ravage salmonique , il te chante ça par en dessous et bham ça déraille dans le we had love, c’est à n’en pas douter l’un des plus gros classiques de wild rock de tous les temps. Pur jus de Kim Salmon. Le solo passe comme un ouragan. Et pour éviter de calmer le jeu, il enchaîne une cover de «Clear Spot», clin d’œil demetend au Captain, un vrai shoot de Bifarx Me Sir, même si pas la voix, mais il ramène toute la niaque d’Aussie dont il est capable. Car Kim est un vrai punk. Plus loin, retour aux Stooges avec «The Spin», pas loin de «Down In The Street», même crasse infectueuse. Si tu aimes le wild Scientific groove, alors «Rev Head» est fait pour toi. Kim le jette dans le cratère des enfers, c’est d’une décadence atroce et putride, ça pue le sonic corpse. Il faut dire que le wild rock Scientific est lourd de conséquences, le «Set It On Fire» est aussi habité qu’un classique de Jeffrey Lee Pierce, Kim et ses cats visent l’apocalypse en permanence, c’est ciblé, pas d’issue, pur rock de no way out. Pas de meilleur hommage aux Cramps que «Blood Red River». Ils visent l’absolution magnanime, ça craque de crasse trashique, voilà un pur un chef-d’œuvre d’auto-destruction sonique. Le bassmatic te reste en travers de la gorge et les poux coulent comme de la lave, «Nitro» est gorgé du désir de vaincre et de mourir, le Kim s’eskrime à la surface du chaos. Voilà encore un hit Scientific pur : «Solid Gold Hell», riffé au gras-double et tu as le bassmatic de Boris Sujdovic qui sort du virage et qui se met en travers, sa ligne de basse entre dans la chair du cut comme la main d’Orlac, elle gronde à l’envers, c’est une sublime descente aux enfers. Les Scientists percutent l’antimatière, ils se jettent dans le mur du son, c’est sans espoir. On se noie dans leur lac. Boris Sujdovic est un fou, comme le montre encore «This Life Of Yours», il hante le boogoloo de va-pas-bien. Globalement, les cuts Scientifiques sont très sombres, mais très chantés, ça flirte en permanence avec l’extrême doomy doomah, ces mecs-là sont fascinés par le néant, ils font de cette fascination un art, tout vibre dans la baraque, c’est fait pour sentir le grondement du chaos. «Backwards Man» est encore plus terrifiant que ses collègues. Les Scientists ont tellement de son.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             C’est à l’époque de ce disk 2 que Tony Thewlis intègre le gang qui du coup va s’installer à Sydney. Et puis c’est l’appel du grand large qui les conduit à aller s’installer en Angleterre, comme d’autres Aussies, en l’occurrence Birthday Party et les Go-Betweens. Ce qui nous conduit tout droit dans les bras du disk 3, ‘When Words Collide: Cachet And Casualty In London’, un double concentré de doom, l’un des épisodes les plus sombres, les plus torturés de l’histoire du trash-rock. Sujdovic, Thewlis et le beurreman Rixon s’installent dans un flat de Fulham, Kim, sa femme Linda Fearon et leur baby Alex trouvent un flat à Brixton. Kim entre en contact avec Lindsey Hutton qui les branche sur Kid Congo Powers et le Gun club, et là ils commencent à tourner sérieusement en Angleterre. Ils vont aussi jouer en première partie des Sisters of Mercy et le manager des Sisters va les prendre sous son aile. Et pouf, c’est parti. Mais les années londoniennes sont âpres, les Scientists vivent dans la pauvreté, Rixon fait une petite overdose, alors c’est compliqué de trouver quelqu’un pour le remplacer au beurre, et Sujdovic qui n’est pas en règle rentre au pays, alors pour Kim, c’est la fin des haricots : Rixon et Sujdovic sont des Scientists irremplaçables. Il tente encore le coup en trio avec une batteuse et Thewlis, mais il finit par jeter l’éponge et rentre à Perth avec femme et enfant.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Ils attaquent le disk 3 avec le très stoogy «Hell Beach», et un harague iggy-poppienne, c’est du pur Dirt, du pur we don’t care. S’ensuit un fourre-tout de la mythologie rock, «It’s The Last Thing To Do» qui sonne comme un cut des Cramps et qui finit en bad music for bad people. Leur boogaloo est bourré de mauvaises intentions. Ça vire parfois Birthday Party. L’immeuble s’écroule avec «Demolition Derby», ils font le «Death Party» du Gun Club, même plan, même riff d’écrasement, avec un Kim goulu comme une goule. Tout ici n’est que dégelée royale, qu’immeubles en ruines, que flammes de l’enfer, que pur sonic trash. Ils tentent le coup de Suicide avec «Atom Bomb Baby», c’est saturé de friture, ils n’en finissent plus de rendre des hommages superbes : Cramps, Suicide, Gun Club, en veux-tu en voilà. Tu crois pouvoir souffler et tu tombes sur un «Go Baby Go» saturé de fuzz, il y a tellement de fuzz que le cut a du mal à respirer, le côté sombre des Scientists met le rock en danger, «Go Baby Go» est un vrai triangle des Bermudes. Et voilà l’apanage du chaos sonique pur : «Psycho Cook Supreme». Ils cultivent les fleurs du mal du XXe siècle, ils scient dans la putréfaction, la fuzz creuse des cavernes dans le cadavre du rock et la basse rôde dans l’ombre comme un prédateur, aucun groupe n’est allé aussi loin dans l’expression du malaise. «Murderess In A Purple Dress», c’est «Sister Ray» : même paquet d’attaque, ils y vont au just don’t care, c’est explosif, rampant, complètement Scientific. Ils rentrent dans la gueule du Temple avec «Temple Of Love», véritable purge d’hardcore Scientific, Kim screame dans le pilon des forges, il bascule dans la folie, c’est bombardé d’électrons. Il hurle dans sa fuite éperdue. Il revient taper une power cover d’«You Only Live Twice». Il chante du haut du Twice. On croit entendre Dracula. Puissant et ténébreux. Il saigne sa mouture à outrance et des vagues de sonic trash balancent la barcasse. Retour à l’extrême brutalité avec «Human Jukebox», aucune finesse, ça dégrossit au débotté crampsy/noisy, Kim chante avec l’insistance de Lux, c’est battu en brèche, travaillé par tous les orifices, chanté à la Maggie’s Farm no more - I am a human jukebox ! - Ça sonne comme le postulat définitif. Et puis voilà «Distorsion», ravagé, dents pourries, chanté sous la mousse de cimetière, ça baigne dans les noires exhalaisons baudelairiennes, c’est aussi une montagne de fuzz avariée, le cut est en dessous, ils jouent la carte de l’extrême saturation du son, les notes se désintègrent dans leur procession mortifère, il n’existe rien de plus putride dans l’histoire du rock. Une horrible avalanche. Voilà encore un cut frappé en pleine gueule : «Place Called Bad», qui donne son nom à la box, Kim le prend pour une enclume, les coups d’accords sont d’une violence terrible, on s’effare de la barbarie de l’attaque, il chante encore une fois comme Dracula, reculé dans l’ombre. «Place Called Bad» est le son du diable. Les Scientists sont des bruitistes d’avant-garde, des inconvénients à deux pattes, «Hungry Eyes» est encore un prodige malsain d’antimatière, ça finit par devenir assommant. Trop chanté à l’écartelée, te voilà au fond de l’égout, aucun espoir, et Kim Salmon continue de pousser le bouchon. Il noie son «Braindead» de rockalama, ils sont en plein dans les Cramps, mais à leur façon. Ah cette façon qu’ils ont de sonner le tocsin avec des guitares ! Et pour finit, tu as «It Must Be Nice» to die at night.

             Voilà ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Une box sert à ça : contenir une œuvre. Libre à toi de lui redonner sa mesure.  

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Kim Salmon’s Smoked Salmon. Le Petit Bain (Paris XIIIe). Le 20 octobre 2023

    Scientists. A Place Called Bad. Box Numero Group 2016

     

     

    In Mod We Trust

     - Piller tombe pile

     (Part Four)

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Petit à petit, Eddie Piller prend la dimension d’un mythe, tout au moins en Angleterre. La récente parution de son autobio conforte cette réalité. Joli titre : Clean Living Under Difficult Circumstances, avec en sous-titre A Life In Mod From The Revival To Acid Jazz. Eddie Piller raconte sa vie de fan et montre à sa façon qu’on peut rester fan toute sa vie, en allant voir jouer des groupes, en créant des fanzines, et accessoirement des labels. Gildas a vécu exactement la même vie, et mené son petit bonhomme de chemin avec la même exigence. Dig It! et Acid Jazz même combat. Même prestige. Ce sont ces mecs-là qui font la vraie histoire du rock, certainement pas les autres. Rappelons que le rock est un art trop sacré pour être confié aux betteraviers.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Pour simplifier : Gildas gaga et Eddie Mod. Deux visions de deux grandes variantes de l’underground, extrêmement pointues d’une part, et à l’échelle d’une vie, d’autre part. Quand on veut bien faire les choses, la règle est de ne pas les faire à moitié. Bon, il existe un book paru aux Musicophages qui raconte le brillant parcours underground de Gildas. Passons donc au brillant parcours underground d’Eddie. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Mod ça veut dire quoi ? La réponse est dans la question. Elle est aussi dans la photo de couverture du fat book d’Eddie. Mod ! Le Vespa et la parka en sont les symboles apparents. Derrière ces deux symboles se masse une immense culture qu’étale au grand jour ce vaillant book de 400 pages. Mod est un phénomène culturel exclusivement British, totalement impensable ailleurs. Pour donner une image qui permet de mesurer la portée de l’impensabilité, l’Angleterre avait les Who et la France Johnny Halliday. La France n’a voulu ni de Ronnie Bird ni de Vince Taylor qui auraient pu sauver les meubles. D’où cette incapacité vieille de 50 ans à prendre le rock français au sérieux, à quelques exceptions près. Parlons de choses sérieuses.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Eddie Piller est né après la bataille, en 1962. Il n’a donc pas vécu les Who. Ceux qui sont nés dix ans avant ont pu les vivre, même ceux nés en France, via les EPs magiques. «My Generation» reste l’hit rock indétrônable. Piller est entré en Mod, c’est-à-dire en religion, via l’anthemic punk snarl «I’m Stranded» des Saints, ce qui n’est pas si mal au fond, même si ça n’a rien à voir avec les Who. Lors d’un voyage en Australie, il va voir les Saints sur scène. C’est l’époque Eternally Yours avec Algy Ward on bass, Ed Keupper est encore dans le groupe - They simply took my breath away - Il indique que la tension entre Chris Bailey et Ed Keupper «made the set edgy and exceptional, hard and fast. I was in heaven.» Qui ne le serait pas ?

             Avec cet excellent fat book, Eddie Piller raconte son éducation, avec un luxe extravagant de détails qui rappelle le book de Stuart Braithwaite (Spaceships Over Glasgow, les disques, les parents, les premiers concerts, les fringues). Mais comme il attaque avec un épisode en Irlande du Nord au moment des Troubles, son fat book rappelle aussi celui de Jackie McAuley (I Sideman, le danger de mort que représente le simple fait de passer la frontière et d’entrer en Ulster), mais les références constantes aux scooters renvoient surtout à l’excellent Quadrophenia tourné par Franc Roddam et sorti en 1979. Eddie Piller le qualifie de guenine masterpiece, qui incarne «the short-lived concept of new realism». Il est fasciné par le personnage de Jimmy Cooper qu’on voit rouler en Lambretta dans Shepherd’s Bush sur fond de «The Real Me» - I was hooked - Qui ne le serait pas ? Il a 15 ans quand il voit Quadrophenia au cinéma - It became a manual as to how we should dress, dance and live - Eddie cite même des réparties de Jimmy Cooper - I don’t wanna be like everybody else, that’s why I’m a mod, see? - et il cite aussi sa réplique favorite - Do the bastard’s motor - quand Jimmy Cooper et ses deux potes vont casser la Mark 2 Jaguar de John Bindon qui leur a vendu a big bag of paraffin fakes, c’est-à-dire des fausses pilules. Selon Eddie, le personnage de Jimmy Cooper est basé sur Irish Jack, an early Who roadie, mais aussi sur «my mod hero, Peter Meaden, qui était certain que le personnage était basé sur sa propre amphetamine-driven descent into mental illness».

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Alors, oui, l’idéal est d’accompagner la lecture du fat book avec une revoyure de Quadrophenia : le film et le book s’éclairent mutuellement. Jimmy Cooper, c’est Eddie Piller. Pas étonnant qu’Eddie se soit complètement identifié à l’excellent Jimmy Cooper. On entre dans ce film incroyablement parfait par la grande porte : les scoots roulent dans la nuit, en meute. Ça parle cockney, et boom, direct dans un club Mod, un groupe joue «High Heel Sneakers». On entend plus loin le «Be My Baby» des Ronettes et boom, grosse transe de Mod craze sur «My Generation». Comme entrée en matière, on ne peut pas faire mieux. Puis Franc Roddam tape dans la réalité sociale de Jimmy Piller : il est coursier, comme Eddie Cooper. Il roule en Lambretta, il poppe des pills, des Blues, comme Eddie Cooper, il regarde les Who à Ready Steady Go dans la télé noir et blanc, et porte son Levi’s mouillé pour lui donner sa forme. Tout est sociologiquement extra-pur. Et puis Brighton et les scoots alignés, et puis «Green Onions» dans le dancing club, et puis la petite séance de baise dans la ruelle - a quick wham bam thank you mam - et puis le boy next door qui choisit the wrong girl, et puis Jimmy Piller viré de chez lui, le film s’accélère, descente into the amphetamine-driven mental illness, Jimmy Piller en tonic suit et mascara, fascinant acteur, la bombe Mod explose, «the summer of sex, drugs violence, immaculate tayloring & sweet Soul music» - Here are the Mods and Quadrophenia is their movie - Comment pouvait-on résister à ça ? Un mec rappelle que les Who écrivaient des big anthems, à la différence des Beatles et des Stones qui écrivaient des hits. Ce n’est pas la même chose. Il faut comprendre à travers Quadro que Mod constituait «a social revolution» - Own clothes, own transportation, own music - Un monde à part, avec une identité propre - I’m a stylish person. I look like something - Avec son film, Franc Roddam a réussi a much more realistic approach que celle de Tommy. Plus street, plus rock. Les Who étaient alors hors de contrôle. Moonie cassa a pipe en bois juste avant le tournage de Quadro. Johnny Rotten fut pressenti pour le rôle de Jimmy Piller, mais les assureurs ne voulaient pas de lui, malgré des essais plus que prometteurs. Alors Franc Roddam a pris Phil Daniels pour le rôle. Pour la bataille Mods/Rockers à Brighton, Roddam a 600 figurants et 2000 spectateurs massés sur la balustrade du front de mer. Le fighting a eu lieu pour de vrai. Comme il est documentariste, son film sonne vrai - Realistic quality - Fantastique ! À voir et à revoir et à revoir et à revoir ! The ultimate rock movie. The absolute beginner !

             Parenthèse : Eddie ne met pas de majuscule à Mod. Ici, on l’écrit Mod, comme on écrit Soul ou encore Dieu.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Même s’il s’identifie complètement à Jimmy Cooper, le destin d’Eddie n’est pas aussi noir. Il part du bon pied, car ses parents sont des Modernistes. Son père qui s’appelle aussi Eddie «roule en Lambretta dans les années 50, il va écouter Tubby Hayes ou Joe Harriott au Flamingo Club in Soho.» Dans la même rue vivent les Langwrith, propriétaires du Ruskin Arms et leur fils Jimmy Langwrith va fonder un groupe nommé Small Faces - While West London’s The Who had been styled and dressed as mods by Townshend’s guru and former Marriott’s Moments manager Peter Meaden, Small Faces, from the East End, were the real deal: grassroots mods - Fran Piller, la mère d’Eddie, est l’une des fans les plus ferventes des Small Faces. Elle va présider leur fan club. Mais les Small Faces tombent sous la coupe de Don Arden qui les plume et qui fait d’eux des pop stars. À l’âge de quatre ans, Eddie se retrouve sur la pochette du pressage US de There Are But Four Small Faces, photographié avec trois autres bambins de l’East End par Gered Mankowitz, autour d’un panneau ‘Itchycoo Park’. Et à Noël 1967, Steve Marriott offre au petit Eddie «a fully functionning air rifle». Les racines d’Eddie sont pures. Comme Astérix, il est tombé dedans quand il était petit. Voilà pourquoi ces fat books sont essentiels : ils grouillent de détails fascinants.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             C’est donc avec Quadro qu’Eddie va entrer en religion. Il va transformer sa vie en parcours initiatique. Music first - I wanted more of it and I wanted it now - Puis John Peel, puis un disquaire, Small Wonder, «which made me feel part of something». Il entre dans sa communauté. Le sentiment d’appartenance est vital. Il sent qu’il fait partie des élus. Il flashe sur l’«Another Girl Another Planet» des Only Ones. À l’été 1978, il s’amourache du punk-rock via les Saints et les Only Ones, mais aussi de la black music. Il dit qu’on peut aimer à la fois les TV Personalities et George Benson. En 1978, il existait un lien entre les punks et les Soulboys. Il aime le punk pour son impact - it was angry, loud and full of energy - mais il découvre que le jazz-funk d’Hi-Tension peut avoir le même impact. Il a 15 ans quand il découvre les Buzzcocks sur scène. Puis il décroche du punk qui devient un cliché, even an embarassment. Et c’est là qu’un mec le branche sur un concert des Chords. A mod band ? - I wanted to be a mod - Il évoque bien sûr les amphètes, le fameux Drinamyl qu’on appelle aussi purple hearts - Stimulation, not intoxication - puis il passe aux fanzines, il crée le sien, Extraordinary Sensations, un titre qu’il emprunte aux Purple Hearts, question de cohérence. Il tire son premier numéro à 20 exemplaires.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Il sait que les Who et les Small Faces constituent les racines de la Mod culture, mais vu son âge, il devra se contenter de vivre le Mod Revival de 1979. Pour les Mods, l’essentiel est de se distinguer des punks - Clothes spoke volumes, certainly louder than the music - En 1979, «one of the biggest mod records was ‘Glad All Over’ by the Dave Clark Five.» Et puis arrivent les groupes du Revival, il les cite tous, et il en met trois au-dessus de la mêlée : The Chords, The Purple Hearts et Secret Affair. Il rend aussitôt hommage à Gary Bushell qui dans Sounds est le seul à prendre le Mod Revival au sérieux. Eddie flashe aussi sur Small Hours, car le groupe est monté par l’ex-bassman des Saints, Kym Bradshaw. Comme Eddie écume les London clubs, il voit tous ces groupes inconnus. Il en raffole : Squire et ses «archaic Edwardian stipped jackets», Back To Zero (il flashe sur le chanteur Brian Betteridge), The Mods from North London. Il compare les concerts des Mod bands à ceux des punk bands où tout le monde crache - The mod revival dance was a joy - Et puis les Purple Hearts, dont il est dingue - Punky, mod garage delivered by four kids from up the road - et il ajoute époustouflé : «I was blown away - they were the ultimate mod band.» Tous ces groupes, à commencer par les Purple Hearts, les Chords et Secret Affair s’engouffrent in The Jam’s wake et vont signer des contrats en 1979. Il évoque aussi The Playn Jayn qui étaient un grand espoir de la scène Mod. Et puis bien sûr les Jam. Eddie n’en démord pas - In 1965, Peter Meaden had described mod as the ‘New Religion’. Now Paul Weller took it one stage further and made the concept a reality - Peter Meaden apparaît dans l’intro - A philosopher-poet who saw the Soho mod scene as a total, all-consuming way of life - Il est le premier manager des Who que lui arrachent Lambert & Stamp. Il manage ensuite Jimmy James & The Vagabonds. Comme Guy Stevens, Peter Meaden voit en Mod un mouvement capable de changer le monde. Meaden voit les Mods comme des toréadors, mais aussi comme des combattants Viet Cong, «fighting against the establishment from the left field, mais most importantly, he defined the concept of mod thus: ‘Modism, or mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Et Eddie ajoute : «Ça ne veut rien dire et en même temps, ça dit tout. It means everything.» Peter Meaden sera consultant sur le tournage de Quadro - This film’s about me, man, this is my life - Mais il se suicide deux mois plus tard et ne voit pas le film. Alors Eddie rend hommage à Peter Meaden en reprenant sa formule pour titrer son autobio. Fantastique.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Son autre grand héros est Tony Perfect, le mec de Long Tall Shorty. Eddie va le trouver un soir après un concert pour lui demander s’il veut bien lui accorder une interview pour son fanzine, et Tony le reçoit bien - He kick-started my creative journey - Son autre grand pote est Terry Rawlings avec lequel il va monter le label Countdown. Comme Jimmy Cooper dans Quadro, Eddie se maquille. Il expérimente l’eyeliner, mais en référence à Clockwork Orange qui est alors interdit et qu’on trouve sur des VHS de contrebande.

             Eddie Piller écrit dans un style vif et alerte, un style qu’on pourrait qualifier d’amphétaminé. Quand il évoque son costume de collégien, il écrit : «It looked the absolute bollocks.» Ses phrases sonnent comme des paroles de chansons des Who - In fact, a schoolboy mate of mine from Hainault/ was knocking out five blues for a quid - Il a aussi une façon très lapidaire de raconter la fin brutale de sa scolarité : «But fuck me, the college course was crap. I was gone within a term and a half.» Et quand il évoque son nouveau style de vie, il le fait à l’emporte-pièce : «I was 17 and the mod lifestyle was costing me money - something I still didn’t have anywhere near enough of.» C’est fabuleusement articulé, dans le sharp, c’est-à-dire le rocking clair et net. On l’entend presque parler. Il parle cockney, comme Jimmy Cooper dans Quadro. Quand il s’entend bien avec un mec, voilà comment il dit les choses : «Still, we got on like a house on fire.»

             Comme il aime bien Sham 69, Eddie va au concert, mais ça devient dangereux, à cause des skins - Jesus fucking Christ, it was one of the most terrifying nights in my life - Dans ce book, la violence surgit à tous les coins de rue, comme d’ailleurs dans Quadro. Lorsqu’il voyage en Australie, il découvre les Sharpies, l’équivalent des working-class bootboys d’Angleterre, mais les Aussies forcent le trait avec un «incredible haircut - a type of proto-mullet with enormous sideburns», et pouf, il cite l’excellent Lobby Lloyd, et Billy Thorpe & The Aztecs.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             À une époque, Eddie bosse pour le label Bearsville, et ça tombe, bien car il se dit «massive fan of Rundgren’s first American group, The Nazz.» Il trouve en Todd Rundgren des «modish sensibilities, more so than most Americans.» D’ailleurs, Rundgren fait une cover du «Tin Soldier» des Small Faces sur The Ever Popular Tortured Artist Effect. Et bien sûr, le fin du fin pour un Mod, c’est d’admirer Georgie Fame. Il raconte comment il le rencontre. Georgie Fame lui dédicace un doc : «To Eddie. Stay fast! Georgie Fame.»

             Et puis bien sûr le scoot. Son premier scoot est un Vespa 90 d’occasion. Puis quand il en a marre des pannes et du mauvais phare, il se paye un Vespa P Range. Il évoque aussi les scooter clubs in London. Plus il avance dans sa vie, et plus il est déterminé à vivre the mod life, une attitude alimentée par «a desire to dress better, find rather and more authetic music and travel absolutely everywhere by scooter.» Il roule avec, passée sur l’épaule, une énorme chaîne lestée d’un très gros cadenas. C’est à la fois son anti-vol et une arme d’auto-défense. Les combats avec les skins sont fréquents à l’époque. Les Mods se rassemblent à Carnaby Street, là où se trouvent les boutiques de fringues et les disquaires spécialisés. Mais aussi les skins. Leur façon d’approcher est toujours la même : «Got a spare 10 pence?». Le skin n’attend pas la réponse, il frappe tout de suite - a punch in the head as the skins robbed the kids of their pocket money - C’est là qu’il voit la Mod scene pour laquelle il se passionne depuis trois ans glisser «in a sea of violence». Dès 1980, la chasse aux skins est devenu un sport national pour les Mods. Eddie raconte aussi qu’il est harcelé par des flics de quartier, l’occasion pour lui de dire qu’il ne respecte plus la flicaille.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Après son fanzine, Eddie monte le label Well Suspect Records et lance des groupes. Il commence par flasher sur Fast Eddie et son charismatic vocalist Gordon Tindale - one of the best live groups I’d ever seen - Il les voit comme «the biggest band on the scene after The Style Council et The Truth.» Un premier single paraît sur Well Suspect. Puis catastrophe nationale in Mod-land : le split des Jam. Weller en a assez. Six mois après, il monte The Style Council avec l’ex-Merton Parka Mick Talbot et un batteur de jazz, Steve White. Mais les fans de base ne lui pardonneront pas le split des Jam. Eddie fait aussi l’éloge de l’organ-driven The Truth. C’est le deuxième Mod Revival. Eddie indique qu’à part Long Tall Shorty et Small World, les groupes du premier Mod Revival de 1979 ont disparu.

             Il truffe aussi son récit de références vestimentaires - I actually preferred Clark’s desert boots to guenine Hush Puppies - Mais comme il doit bosser pour vivre, il doit aussi faire attention - Real Clarks were far too expansive for us - Le seul jean qu’affectionnent les Mods est le Levi’s 501, avec «a theree-quater-inch turn-up». La seule alternative au 501 était, nous dit Eddie, «a pair of sta-prest slacks» - The holy grail was a pair of original Levi’s Sta-Prest with tags - Il n’hésite pas à entrer dans les détails. Il flashe aussi sur les Levi’s jackets en daim ou dark indigo - but the much rarer white was seriously cool - Et puis les costards, si possible sur mesure, les fameux tonic suits. Sans oublier la parka, «the M51 US Army fishtail parka of Korean War vintage», décorée d’un logo de groupe peint dans le dos et de badges ou de patches cousus sur les bras. Dans le dos de sa parka, Eddie a peint le logo des Chords. Bref, c’est un manège enchanté : parkas, scooters, desert boots and... Carnaby Street. Sa boutique préférée s’appelle Well Suspect - which sold the best mod clothes in London - un nom qu’il va utiliser plus tard pour monter son premier label. Il y achète son premier costard, deux semaines de salaire : «a three-button-bum-freezer suit in a dogtooth pattern with 4-inch side vents and grey silk linings.» Et puis tu as le délire des boating blazers, les vestes à rayures, «yes with matching trousers, just like the one Brian Jones was wearing to one of his many court appearances and on the sleeve of Through The Past Darkly.» Eddie maîtrise l’art de nous plonger dans la mythologie. L’histoire du rock anglais, lorsqu’elle est bien maniée, n’est qu’une magnifique mythologie. Et pouf, il embraye sur le délire de l’attirail Mod - Harringtons, monkey jackets, US Army trench coats, donkey jackets, Crombies, M51 US Army parkas, MA1 green bomber jackets, desert boots, loafers, off-the-peg suits and jackets, button-downs, Fred Perry polo shirts - Eddie saute sur le «great secondhand mod gear at junk shops», il se grise de tout ce carnaval de «turtlenecks, de Levi’s denim or Harrington jackets, even paisley silk scarves.» Tout était disponible «if you put in the time and effort.» Il se fait tailler un premier costard sur mesure chez Steve Starr - Three buttons, 15-inch bottoms and a 5-inch centre vent - Il sait ce qu’il veut. Tony Perfect de Long Tall Shorty est aussi un client de Steve Starr. Et il conclut ce fabuleux chapitre consacré aux fringues ainsi : «Ce printemps-là, au lieu de me concentrer sur mes examens, je mis toute mon énergie into the important things in life - clothes, music, fanzines and scooter. I was on top of the world.» Et forcément, le mouvement prend de l’ampleur : «À l’été 1980, mod was probably the biggest youth cult in the country.» 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Oh et puis bien sûr les disques ! Quand il va en Irlande, il emporte du trié sur le volet : «What’s Wrong With Me Baby» by The Invitations, «Ain’t There Something That Money Can’t Buy» by the Young-Holt Trio, «My Baby Must Be A Magician» by the Marvelettes et «Landslide» by Tony Clarke. Il cite aussi «Smokey Joe’s La La» by Googie René Combo. Puis les deux versions de «Wade In The Water» par Ramsey Lewis et Marlena Shaw, le «Tainted Love» de Gloria Jones et le «Move On Up» de Curtis Mayfield. Il évoque plus loin la northern soul scene animée par Ady Croasdel et Tony Rounce, deux gardiens du temple qu’on retrouve dans tous les booklets d’Ace. Eddie fait encore l’apologie des Q-Tips, «fronted by a charismatic singer called Paul Young», mais aussi The Step, mod-soul hybrid comme les Q-Tips, et puis les Dexy’s Midnight Runners - Their incredible debut LP catapulted them to superstardom. Searching For The Young Soul Rebels is undoubtedly a work of great genius and in my opinion one of the best British albums ever made - Voilà, c’est dit.

             Eddie trouve un job dans une boîte de prod nommé Avatar. Il est coursier. En parallèle, il fait le DJ au Regency, manage Fast Eddie, il sort un deuxième single sur Well Suspect Records et tire son zine Extraordinary Sensations à 4 000 ex. Ah on peut dire qu’il est bien occupé ! Il monte aussi une petite boutique de disques à Kensington Market, qu’il baptise Marvel’s Records : il a racheté un lot de 1 000 singles sur des sixties black music labels, from Sue to Specialty, en passant par OKeh et Golden World, qu’il revend à la pièce. Puis il sort une première compile, The Beat Generation And The Angry Young Men, «after a Fifties beat-poetry anthology that had always caught my mod eye».  

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Alors on écoute la Deluxe Edition de The Beat Generation And The Angry Young Men qui propose 17 cuts. Deux groupes se détachent nettement du lot, The Directions et bien sûr Long Tall Shorty. Deux cuts chacun. Avec «It May Be Too Late», The Directions tapent dans le registre de la Beautiful Song, mais ici, c’est Moddish et chargé d’espoir. Et plus loin, ils tapent dans le Mod craze avec un «Weekend Dancers» élancé vers l’avenir. L’«I Do» de Long Tall Shorty va plus sur les Pirates de Mick Green, avec un son bien lesté de scuzz. Et puis wham bam, ils percutent la Mod craze de plein fouet avec «All By Myself», c’est en plein dans le mille dès les premières mesures, Mod-punk en diable, fantastique Tony Perfect d’all by myself, et en plus du vaillant Mod craze, tu as les Stooges et Buzzcocks. Ce petit cut qui n’a l’air de rien est pourtant si complet. Eddie a mis aussi deux cuts de ses chouchous les Purple Hearts, dont le «Concrete Mixer» de fin amené au heavy beat de «Keep On Running» et qui vire heavy dub. Il fallait y penser. Quant au reste, c’est plus délicat. Les Mads claquent leur «Mods Are Back In Town» bien sec du beignet, avec une petite thématique, mais ça ne dépasse pas le stade de l’exacerbation. On dira la même choses de Les Elite (sic), avec un «Career Girl» chanté au souffle court sur des étalages de clairette exacerbée, disons pour faire simple qu’il s’agir d’un son à part entière, reconnaissable entre mille, et donc recommandable entre mille. Les Mads cassent leur petite baraque avec un «Psycho R’n’R Art» bien décharné, un Mod rock d’orbites décavées, complètement hagard. Eddie avait quand même du pif. On peut le féliciter chaudement pour cette première tentative de fédération des énergies Moddish. Car à part lui, personne n’osait se mouiller. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Puis tout s’accélère : Eddie monte Countdown Records avec son ami Terry Rawlings. Ils sont épaulés par Dave Robinson, le boss de Stiff Records. Le premier groupe qu’il signe est l’excellent Makin’ Time - They were ridiculously young but impressively smart, all vintage knits and white Levi’s - avec Fay Hallam au Farfisa. Mais avant de sortir l’album de Makin’ Time, Robbo, comme l’appelle Eddie, a l’idée d’une compile «featuring new tracks from some of the biggest bands on the mode scene.» Et pouf ! Here it comes : 5-4-3-2-1 Go! The Countdown Compilation. C’est un succès, 30 000 copies vendues dans le monde ! C’est justement Makin’ Time qui ouvre la balda avec «Only Time Will Tell», pur jus de wild Mod craze, avec Fay Hallam en tête de beat de black bombers. On reste dans l’excellence Moddish avec The Alljacks et un «Guilty» cuivré de frais, assez puissant et même gigantic. Dancing Mod craze ! Franchement, c’est admirable. Eddie avait du flair. Fin du balda avec Stupidity et «Bend Don’t Break», Mod-punk envoyé au let’s go ! Heavy horns, c’est tout de suite dans la poche. En B, on retrouve l’excellent Ed Ball dans The Times et «Whatever Happened To Thames Beat», cockney à gogo, et plus loin, The Scene et «Inside Out (For Your Love)», Mod sound un peu dénudé, mais altier, chanté aussi en cokney. Et ce sont les chouchous d’Eddie qui referment la marche : Fast Eddie et «I Don’t Need No Doctor», pur jus de r’n’b et big energy. Quel blaster ! Eddie avait bien raison de s’extasier sur Gordon Tindale.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Comme Makin’ Time fait le buzz via la compile, Eddie sort leur premier album sur Countdown : Rhythm And Soul ! Tout un programme. Album chaudement recommandé à tous les amateurs de Mod craze. La force de Makin’ Time, ce sont les deux compositeurs : Fay Hallam et Martin Blunt, le bassman. Rien que sur l’A, ils alignent trois hits fabuleux. «Take What You Can Get» (Blunt) est un beau jerk moddish chanté par Mark McGounden, bombardé au bassmatic et orné de nappes d’orgue dignes de Question Mark. On danse le jerk au Palladium. Attention, ce n’est pas fini. Fay prend le micro pour «Feels Like It’s Love», elle y croit dur comme fer, c’est une battante, elle y va du menton et des hanches, c’est la reine des Mods, avec Billie Davis. Elle règne dans un monde où les garçons se coiffent soigneusement et se gavent d’amphètes, et où les filles sont discrètes et distantes. Mark McGounden signe le troisième hit de Makin’ Time, «Here Is My Number», un classique Mod bien produit, battu sec et plein d’ampleur. Hit de rêve avec un passage chanté à l’unisson, comme chez Motown. Fay et Mark dégoulinent de Soul-shaking. Lors une accalmie, Fay monte au créneau. Encore un hit signé Blunt, «Only Time Will Tell», battu sec dès l’intro. Fay s’y colle. Magnifique de Northern soûlerie, fabuleuse énergie ! L’ami Neil Clitheroe bat comme dix Thors. C’est lui qui emmène les cuts en enfer - hey hey will you change your life - c’est d’une netteté prodigieuse - So I’m sorry baby - Magnifique pétaudière de dance Soul. Les Makin’ Time sont un jukebox à huit pattes. On passe en B avec la bave aux lèvres pour écouter «I Gotta Move», excellence speedée et nappée d’orgue. Il faut attendre «I Know That You’re Thinking» pour renouer avec le soft rock à l’Anglaise bardé d’harmonies vocales et d’éclatantes relances. Fay allait devient avec cet album la chouchoute du Mod Revival. Merci Eddie !

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Comme la première a bien marché, il pond une autre compile Countdown, cette fois avec des groupes australiens : Party At Hanging Rock. C’est nettement moins bon que la compile anglaise. On y trouve les Saints avec «Gypsy Woman». On se demande ce qu’ils foutent là. En plus, c’est la troisième mouture du groupe avec Harrigton et Janine Hall. On retrouve aussi Stupidity avec «Try Not To Let It Show», toujours aussi cuivré de frais. Mais les autres groupes laissent un peu à désirer. Certains ont même l’air empotés. Grooveyard sonne comme les Smiths. C’est aux Happy Hate Me Nots et «You’re An Angel» que revient l’honneur de sauver les meubles : bonne veine, très sec et net, très Moddish. En B, on retombe sur des Aussies qui sonnent comme les Smiths et franchement, c’est pas terrible. Les Painters And Dockers sonnent comme le 13th Floor avec leur «Basia», donc, on se demande ce qu’ils foutent là. The Reasons Why ne laisseront pas non plus de souvenirs impérissables, oh la la, pas du tout. Leur «Undecided» est bien intentionné, mais très pauvre. On est aux antipodes des Prisoners et de Makin’ Time, au propre comme au figuré. On comprend qu’Eddie se soit intéressé aux Huxton Creepers, car leur «Happy Days» est gratté aux accords de la rengaine. Ça sent bon le vécu. Party At Hanging Rock n’est donc qu’un document sociologique.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Puis il découvre The Prisoners - Of all the groups I’ve ever seen plau live, I can safely say The Prisoners were far and away the best - Et il ajoute : «They were the perfect band.» In From The Cold sort sur Countdown. Cap sur la Mods craze avec «All You Gotta Do Is Say», salement cuivré, joué à la teigne et arrondi aux angles par la bonté du chant. C’est le r’n’b according to Graham Day. Jamie Taylor te noie tout ça d’orgue. Wow, comme ces mecs avancent bien, et quel port altier ! This is the sound of British Mods. Même chose avec «Deceiving Eye» : l’ami Day y va au harsh, il bat tous les records de hargne. L’autre big Mod rock se niche en B et s’appelle «Find And Seek». Ils font tournicoter le London groove et produisent une belle excitation. On les voit aussi emprunter un riff aux Pretties pour «Be On Your Way». On se croirait dans «Midnight To Six, Man». So much confusion ! Régale-toi aussi du bassmatic d’Allan Crockford dans «The More That I Teach You», et dans «I Know How To Please You», tu vas trouver un léger parfum de Spencer Davis Group. Saluons aussi le morceau titre, bien convulsif, mais ce n’est pas un hit. Les Prisoners jouent tous les cuts au convulsif fondamental et ce pâtissier du diable qu’est Jamie Taylor nappe tout de B3. Mais les Prisoners sont furieux. Ils détestent la pochette, ils détestent leurs fringues, ils détestent tout. Pourtant, l’album fait un carton. C’est aussi le dernier album Countdown.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Eddie flashe aussi sur un groupe américain, The Untouchables, «with an exciting mixture of Soul and ska». Billy Zoom est le guitariste du groupe. Eddie réussit à les ramener sur Stiff. Leur deuxième album s’appelle Wild Child. Quelle surprise ! Billy Zoom n’est plus là, mais ils sont six et bien déterminés à vaincre. Ils proposent un dancing Mod-rock US sec et net. Ils attaquent leur morceau titre avec un son pète-sec et montent «I Spy For The FBI» au beat va-vite. La surprise vient du «Freak In The Streets», gorgé d’une grosse énergie de rap/funk. Ils passent ensuite au reggae beat avec «What’s Gone Wrong», ça reste bienvenu, même si ça putasse un peu avec l’UB40. Et boom, back to the fast Mod craze avec «Free Yourself». Ils privilégient le ventre à terre énergétique tapé au sec et net. En B, le festin se poursuit avec «Soul Together» monté sur un riff funky des Stones. «Mandigo» est plus ska, Skip, c’est pas un scoop. Ils terminent en beauté avec «Lovers Again», belle volubilité aux pleins pouvoirs, et «City Gent», plus rockalama, fougueux comme un poney apache, doté de la meilleure cohésion sociale. Arrêt/départ, arrêt/départ, avec un son plein comme un œuf de Pâques.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             En 1986, Eddie s’intéresse au jazz et fouine dans la collection de disques de son père. Il flashe sur Jimmy Smith, Jimmy McGriff et Ramsey Lewis. Mais aussi Harold McNair dont Andrew Loog Oldham lui dit qu’il est «the hippest mod he’s ever met». En 1986, Eddie voit aussi la mod scene splitter, avec d’un côté les «psych and freakbeat mods, all Marriott hair, Austin Powers and paisley», qu’on appelle les swirlies, mais ce n’est pas la tasse de thé d’Eddie qui préfère rester dans le jazz. À 23 ans, il a déjà fait trois labels, managé 3 ou 4  groupes, possédé 20 scooters et il continue d’aller chez le même tailleur depuis l’âge de 16 ans. Il se demande s’il n’est pas trop vieux pour tout ça.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Il lance ensuite le James Taylor Quartet qui tape dans l’œil de John Peel. Alors Peely passe un coup de fil à Eddie : «Blow Up, James Taylor Quartet. I love it. I’m going to play it to death. Fabulous mix mix of punk sensibilities and jazz. I’d like to get the band in for a live session - When can you sort that out?». Eddie est scié ! C’est Peely qui lance donc le James Taylor Quartet. Dans la foulée, Eddie sort Mission Impossible sur son troisième label, Re-elect The President. Puis il monte Acid Jazz, un label qui devient une sorte d’institution du bon goût.

             «I finally undestood that mod was just a state of mind.» À la dernière page de son palpitant mémorandum, Eddie Quadrophenia se souvient de cette phrase de Jimmy Cooper : «I don’t wanna be like anyone else, that’s why I’m a mod, see?». And now I finally understood what he meant.

             Ce texte et l’hommage qu’il formule est dédié à Jean-Yves.

    Signé : Cazengler, tripe à la mode de Caen

    Eddie Piller. Clean Living Under Difficult Circumstances. A Life In Mod. Monoray 2023

    The Countdown Compilation. 54321 Go! Countdown 1985

    Countdownunder - Party At Hanging Rock. Countdown 1986

    The Beat Generation And The Angry Young Men(Deluxe Edition). Well Suspect Records 2016

    Makin’ Time. Rhythm And Soul. Countdown 1985

    Prisoners. In From The Cold. Countdown 1986

    The Untouchables. Wild Child. Stiff Records 1985

    Franc Roddam. Quadrophenia. DVD Universal Pictures 2006

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Four

     

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Lorsque Felt disparaît, Lawrence d’Arabie monte un nouveau one-man band conceptuel : Denim.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Back In Denim paraît en 1992, avec un beau logo sur la pochette. Dès le morceau titre, Lawrence d’Arabie annonce la couleur : glam ! Eh oui, souvenez-vous, comme Nikki Sudden, il est venu au rock par le glam et T. Rex. Admirable pastiche, il explore les soutes du glam, il s’amuse sur un back-beat à la Gary Glitter. Même ambiance, gros beat porté par l’écho du temps. Quelque chose de tribal règne ici-bas, babe. Encore du glam avec «I’m Against The Eighties». Il croise son glam avec celui de Lou Reed et n’en finit plus de faire monter la pression harmonique des guitares. C’est l’apanage de l’artefact. Il va loin et rejoint l’esprit de fête. On se croirait à la radio. Cet album grouille de merveilles, comme ce balladif d’inspiration sous-cutanée qu’est «I Saw The Glitter On Your Face» : il joue ça au groove d’Americana. C’est l’une des grandes forces de Lawrence d’Arabie qui n’a pourtant jamais joué dans les Byrds et pourtant, il sonne comme Gene Clark. C’est à la fois dévastateur, inspiré, déchirant, avec des pointes dylanesques. Il tape ensuite dans l’ampleur du big sound pour «American Rock». Lawrence d’Arabie est le maître des réalités, il sait se montrer imparable, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il fait passer son cocotage comme une lettre à la poste. Il pousse le pastiche très loin, il secoue la bite du concept, il va droit au but, fait du Lou Reed à l’Anglaise et termine en apothéose. Tout aussi impressionnant, voilà «Living In The Streets». Il ramène des riffs historiques sur fond d’électro. Ça cocote sec, une fois de plus. Notre Denim boy nous fait un festival de heavy riffing. Rien d’aussi rock’n’roll que cette débauche d’excellence. Lawrence d’Arabie n’en finit plus de créer la sensation. Avec «Here Is My Song For Europe», il se rapproche de Jason Pierce, il part en mode de heavy romp d’électo. Il adore le son qui ne fait pas de cadeaux. On le voit aussi créer son monde à la force du poignet électronique dans «Fish And Chips» et revenir au pop-rock avec «Bubblehead». Derrière, des mecs font des chœurs idoines. Lawrence d’Arabie claque toutes ses syllabes de don’t be cruel et les chœurs vacillent, comme frappés par des flèches en plein cœur, alors ça devient passionnant.

             Mais Lawrence d’Arabie ne fait rien pour devenir célèbre. Il préfère rester en retrait - An illusion - Il se dit le contraire de Jarvis Cocker qu’on voyait partout.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Lawrence d’Arabie récidive avec Denim On Ice, quatre ans plus tard. Il faut avoir écouté «Shut Up Sidney» au moins une fois dans sa vie. Il tourne tout en dérision - Shut up Sidney/ That’s not rock’n’roll - Effarant, d’autant plus effarant qu’il le fait pour de vrai - Kim Wilde - You what - Spandau, oh got lost - Dans «The Great Pub Rock Revival», il évoque Roogalator et les Ducks Deluxe et revient à la très grande pop anglaise avec «It Fell Off The Back Of A Lorry». Il pianote et chante à la revoyure. Quelle classe ! Il revient aussi à son obsession pour Lou Reed avec «Brumburger», baby’s got a gun, c’est du rap Only Ony, mais son vice reste bien le glam, comme le montre «The Supermodels». Avec «Job Center», il tourne la lose en dérision et se fâche contre Le Corbusier dans «Council Houses» - Walter Gropius man/ I loved your style - So British. Il s’amuse aussi avec le dentier de son grand-père dans «Granddad’s False Teeth», émaillé de retours d’accords de brit-rock. Il n’en finit plus de tout tourner en dérision salutaire, mais avec du son. Puis il va pulser le bouchon de «Silly Rabbit» très loin, au yeah-yeah-yeah, de façon inexorable. Fantastique shoot de pop ! Et cet album superbe se termine avec un «Myriad Of Hoops» beaucoup plus intimiste. Lawrence d’Arabie creuse sa pop et vise la pureté, c’est soutenu au bass driver de croisière. Lawrence d’Arabie y croit dur comme fer et nous aussi.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Denim toujours avec Novelty Rock. L’album se veut très electro-rock, et Lawrence d’Arabie ouvre son bal avec «The New Potatoes», l’hymne des nouvelles patates. Comme on l’a vu, il adore faire joujou avec le glam et la petite pop. Il faut attendre «Ape Hangers» pour frémir un bon coup - You said stop/ I said go/ I’m always saying yes and you’re always saying no - Voilà un admirable hit de juke. Il fait sa petite pop envers et contre tout. On retrouve le pervers un brin moqueur qu’on aime bien dans «Tampax Advert» mais le vrai hit du disk se trouve en fin de course : «I Will Cry At Christmas» - I will cry/ A tear - C’est tout Lawrence d’Arabie, bien nappé d’orgue - Loneliness is a virtue - Le dandy refait enfin surface - I need some space I can breathe/ At least walk away with some pride - Fantastique désespérance.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Avec Go-Kart Mozart, Lawrence d’Arabie va plus sur le Day-Glo past et l’eerie synthetic future, pas loin d’un Clockwork Orange nightmarish mish mash. Il enregistre Instant Wigwam And Igloo Mixture en 1999, et là-dessus se niche un coup de génie arabique intitulé «Wendy James». Il fait son aw Wendy à la Bowie - I will have an electric guitar/ Wendy James - et il ajoute, à demi hystérique : «I won’t have no string quartet !» C’est un pastiche glam effarant, une fois de plus - You’re second to the very Joan Jett/ Aw Wendaï ! - Une bombe de glam moqueur, joué à la vie à la mort de la mortadelle. On a beaucoup de pop électro sur cet album déroutant. Il règle ses comptes avec «We’re Selfish And Lazy And Greedy» et le casque saute sous les coups de boutoir des infra-shits d’Arabie. On a là une moquerie électro d’enfant aux dents gâtées. Avec «Sailor Boy», Lawrence d’Arabie nous entraîne dans une salle de jeux électro et chante en cockney d’Amsterdam à la con. Il fait comme il lui plait et il nous sort le son du diable dans «Mrs Back To Front And The Bull Ring Thing». Mais il s’arrange toujours pour revenir avec une petite compo intéressante dans le genre de «Plead With The Man» - Yes I will plead with the man for some gear.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Pas mal de belles choses sur Tearing Up The Album Chart paru en 2005, à commencer par «Electric Rock & Roll», joli shoot de pop electro. Lawrence d’Arabie adore l’electro beat, comme Stereo Total - Oh oh yall gonna go downtown/ Tonite - Il shoote du bon vieux glam dans son electro-pop. S’ensuit l’un des coups de génie auquel il nous habitue, «Listening To Marmalade», matraqué au riffing absolu - All those records - Et il ajoute : «Pictures of rock stars stuck on the wall» - Aha ! Il gémit son hoquet et se moque des mecs qui vivent dans le souvenir de Marmalade. On le voit plus loin s’amuser avec tout le jargon rock dans «Fuzzy Duck» - Lucky custard/ Bacon fat/ Wooden o/ Incredible hog/ Heavy jelly/ Mogul trash - et il passe au fast glam avec «Transgressions», il nous sort un étrange brouet de drums compressés et de solos de machines. Il faut attendre «Donna & The Dopefiends» pour le voir faire son Lou Reed - Hey Donna/ I want to score - Il s’amuse comme un petit fou - The trees have no leaves in Alphabet City -  Retour au fast glam electro avec «England & Wales». C’est le fonds de commerce arabique. Quel shoot ! - Apples & pears/ You take the piss I don’t care - Embarquement pour Cythère garanti - When all else fails it’s England & Wales - Et comme on le constate à l’écoute de «City Centre», il fait ce qu’il veut de la pop. Il la chante au défilé de son imagination, mais avec quelque chose d’unique dans les jeux de langue. Même s’il tape dans l’electro beat, il reste le plus pointu des rockers britanniques. Il faut le voir sur la photo intérieure, en slibard, assis sur les gogues, avec écrit au feutre sur le ventre : «Go Kart Mozart Classic Upstarts».

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Lawrence d’Arabie nous prévient : Go-Kart Mozart are a novelty rock band. C’est donc avec circonspection qu’on aborde On The Hot Dog Streets paru en 2012. Sa petite pop électro commence par dérouter, mais un peu plus loin, sur le deuxième disque, il vire glam et quel glam, Glen ! Ça commence avec «Synth Wizard», une petite pop électro finement glammy - I believe in new day/ New day comes when old day’s gone - Dans sa façon d’écrire transparaît une morgue fascinante et c’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Dans «Talk With Robot Voice», il dit ne plus vouloir que les femmes lui fassent de mal, mais il avoue être encore sensible to vagina allure. Lawrence d’Arabie épate et déconcerte. On se sent hooké. Avec «Spunky Axe», il part en virée glam - Sally & Jake shake your spunky axe hoo hoo - et on entend des chœurs de filles nubiles sur le tard du cut. Ça miaule et ça woof-wooffe. C’est un chef d’œuvre de dérision. Il revient à ses obsession sexuelles dans «Electrosex» - Mae West/ Blonde hair/ Big chests/ Mae West/ Loves sex - tout ça sur canapé de glam de bon aloi. On le sait, glam et sex ont toujours fait bon ménage. Puis cet enfoiré de Lawrence d’Arabie nous fait les Dolls avec «Queen Of The Scene». Mais il anglicise les Dolls, c’est une fois de plus terrible et bien écrit, comme tout le reste de l’album - Pink baked bean/ New York scene/ TV screen/ Ah oooh/ But you’re so mean - Quel admirable pastiche ! Il termine sa D avec un «Men Look At Women» délicieusement décadent, au sens de Kevin Ayers et de Lou Reed, mais avec quelque chose de dandy en plus. Du coup, on se replonge dans l’A et la B avec plus de sérieux. Si on passe le cap d’une réticence aux machines, la petite pop électro de «Lawrence Talkes Over» passe plutôt bien. On sent de vagues réminiscences d’«Obladi Oblada» et de Jimmy Page - Mr A&R Man/ He don’t understand - tout ça sur le beat du Walrus des Beatles - We’re a novelty band/ We’re taking over - Lawrence d’Arabie crée son monde, un joli monde pop gorgé d’ironie et d’influences. Son «Retro Glancing» sonne comme un vieux hit pop et sa musique des mots fascine - Poxy this and poxy that/ Poxy tit and poxy tat/ You and me - et il déclare dans le texte d’accompagnement : «I want to capture the illeteracy of rock’n’roll with its emotions and insights, combine these elements with literacy and assess the impact firsthand.» En gros il veut transformer l’illettrisme du rock et restituer ses émotions et son impact à sa façon, plus cultivée. Son «Come On You Lot» d’ouverture de B accroche terriblement. Quel popster ! Il jette tout son anglicisme dans sa pop, un art si difficile. Et pour rester en cohérence avec lui-même, il s’en prend dans le texte aux filles vulgaires. Son «Blown In A Secular Breeze» est un retour à la Beatlemania. Il finit son cut en sifflant, gonflé d’espoir. Son bubblegum tient si bien la route. Il bricole ses belles satires sur l’air enjoué d’Obladi. Avec «White Stilettos In The Sand», il passe au cokney - They’re after sex that’s hard to find/ In boring old England - Il dote sa pop électro d’une classe insolente. Tout est bon chez ce magistral popster lettré.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Paru en 2018, Mozart’s Mini-Mart grouille littéralement de coups de génie, n’ayons pas peur de monter sur des grands chevaux. Au moins quatre. Il se moque de la pauvreté dès «Relative Poverty» - Awopbopalula a tenner a day - C’est vrai que ça peut faire marrer de vivre avec un euro par jouer - He’s living in a relative poverty/ Godness gracious/ A tenner ! - Quand ça vient d’un mec comme Lawrence d’Arabie, c’est imparable. Il fait son T. Rex dans «A Black Hood On His Head» et joue ça au vrai relentless britannique. Il retrouve le secret du monster beat. Et voilà qu’il fait chanter le coq dans «A New World», c’est dire l’humour de l’electro pop king. Il en fait même un hymne et met des chœurs en route - And I can feel the new tomorrow comin’ on - C’est exceptionnel. Il reprend la main - And she would feel the new morning comin’ on - et bien sûr, des chœurs de gospel batch entrent dans la danse. Encore un hit pop avec «Cronium-Plated We’re So Elated», c’est même du stomp electro, du glam des enfers. Difficile de résister à un tel charme. Il se moque aussi de la dépression avec «When You’re Depressed», il nous claque ça au riff anglais - I won’t have sex - On le voit revenir à la très grande pop avec «Big Ship» - Love is a big ship following me - Lawrence d’Arabie reste le surdoué que l’on sait. Même s’il traîne avec des machines, il sait ce qu’il fait. Il revient aussi à la dope avec «I’m Dope» et fait tout rimer avec dope : cop, joke, misanthrope, hope, rope - Coz I’m dope/ I don’t hold out hope - Il fait même un hit de dance-floor : «Knickers On The Line By 3 Chord Fraud». L’Arabie regorge de ressources inexplorées. On le sait depuis l’époque de Lawrence d’Arabie, le vrai.   

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Denim. Back In Denim. Boy’s Own Recordings 1992

    Denim. Denim On Ice. Echo 1996

    Denim. Novelty Rock. EMI 100 1997

    Go-Kart Mozart. Instant Wigwam And Igloo Mixture. West Midland Records 1999

    Go-Kart Mozart. Tearing Up The Album Chart. West Midland Records 2005

    Go-Kart Mozart. On The Hot Dog Streets. West Midland Records 2012

    Go-Kart Mozart. Mozart’s Mini-Mart. West Midland Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Heavy load

             S’il est une chose que l’avenir du rock apprécie par-dessus tout, c’est le poids. Le poids des mots, le poids des idées, le poids du poids, le poids du sens. Il ne jure que par le lourd de sens. Dès qu’il voit qu’un être ou qu’une œuvre manque de poids, il fait demi-tour. Il n’a que mépris pour la surface des choses, qu’on appelle aussi la superficialité, le jeu des apparences et cette profonde bêtise dans laquelle se complaisent hélas trop de gens. Ses oreilles font le tri des conversations et ses yeux le tri des images. Il est ravi lorsqu’un tri auditif concorde avec un tri visuel, il sait qu’il aura accès au poids. Cette quête du poids présente des avantages mais aussi des inconvénients. Elle flirte avec l’addiction. D’autres appelleraient ça de l’élitisme. L’avenir du rock voit plus cette quête comme une condition de survie. Il ne supporte plus d’entendre les gens parler des reportages qu’ils ont vu à la télé, ou de se vanter d’être devenus comme des millions d’imbéciles des épidémiologistes à la petite semaine. L’avenir du rock ne veut pas finir comme ça, rongé de l’intérieur par le poison des medias. En même temps, il comprend que les gens puissent s’estimer trop faibles pour se lancer dans une quête de poids. Certains le font pourtant, mais ils grossissent. Ils confondent poids et poids. La notion de poids est pourtant simple. L’histoire du rock offre quelques beaux exemples : Jimbo, Elvis, Wolf, Jeffrey Lee Pierce. Les mêmes imbéciles pourraient aussi reprocher à ces superstars d’avoir pris du poids, mais dans ces cas-là, le poids fait partie du poids, c’est pourtant simple à comprendre, non ? Et pour faire bonne mesure, on peut ajouter à cette liste les noms de Frank Black, David Thomas, Fats Domino et Leslie West, des gros qui font partie des plus grands artistes du XXe siècle : beaucoup d’albums, aucun déchet. L’avenir du rock raffole de ce poids-ci, de ce poids chiche, de cette fabuleuse masse volumique qu’exacerbe l’idée même de la densité artistique. Il en est des choses du rock comme des choses de la vie : lesté de poids, l’être est l’être. Heavy, comme envie ou encore en vie. Envie d’Eve Future bien sûr. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Pas étonnant qu’un groupe anglais se faisant appeler The Heavy reçoive l’aval de l’avenir du rock. The Heavy dispose en outre d’un privilège extraordinaire : le chanteur est un black, et quel black ! Kelvin Swaby est une petite fournaise à deux pattes.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

    L’idéal serait de commencer l’exploration de ce poids lourd par The House That Dirt Built paru en 2009. Car il s’y niche une pépite nommée «How You Like Now». Kelvin Swaby l’attaque à la James Brown, au there was a time, au stormer de shaky shaker, ce mec ramène tout le Black Power dans un Heavy lourd de conséquences. Encore un big shoot d’excelsior avec «Oh No! Not You Again». Kelvin Swaby screame comme un démon. Les cuts suivants sont hélas moins intenses. «No Time» se veut plus ambitieux, presque blanc, bien chargé de son, ça rue dans les brancards, ça vire heavy Soul de pop généreusement cuivrée. Ces mecs ont un bon concept, ils flirtent parfois avec Led Zep ou le blue beat. C’est un mélange très curieux. Ils opèrent un grand retour à la Heavyness avec «What You Want Me To Do». Ils ne s’appellent pas The Heavy pour rien. Ils vont piétiner les plates-bandes des blancs, dommage qu’ils ne restent pas au niveau d’«How You Like Now».

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Leur premier album s’intitulait Great Vengeance And Furious Fire et bénéficiait d’une pochette typographique. C’est souvent ce qu’on fait quand on manque d’idées. En 2007,  Kelvin Swaby et ses amis se prévalaient déjà de la clameur d’un son entreprenant, d’une bonne bedaine d’aubaines, qu’ils chargeaient d’infra-basses et qu’ils couronnaient d’un chant d’incendie urbain.  On voyait tout de suite qu’ils regorgeaient de ressources inexploitées et avec «Set Me free», ils se montraient tout simplement jawdropping - Why don’t you wanna set me free - Ils doublaient leur heavy beat de gros coups d’acou et Kelvin Swaby n’en finissait plus de poser sa question. Puis ils attaquaient «You Don’t Know» au gras double de British Blues, mais ça tournait vite au heavy doom fantasmatique - Maybe you won’t satisfy me - Ils faisaient du Led Zep encore plus puissant que Led Zep, surtout Kelvin Swaby qui faisait bien son Plant. Il semblaient assis on top of the world. Tout l’album était énorme. Ils tapaient «In The Morning» au heavy rock anglais et ça prenait de sacrées proportions. Avec «Dignity», ils sonnaient comme le Spencer Davis Group - And I don’t care who knows it - On avait là du «Gimme Some Loving» on fire - You always fuck with my dignity !

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             The Glorious Dead ? C’est le ciel qui te tombe sur la tête ! T’y crois pas ? Alors écoute «Just My Luck». Kelvin Swaby attaque ça au just my luck, il nous fait une crise d’early wild Led Zep de Communication Breakdown, un truc de dingoïde indomptable, ils emmènent ça au paradis de l’early Zep et là tu entends l’avenir. C’est dire s’ils sont balèzes. Si on en pince pour la densité, alors il faut se taper le «Can’t Play Dead» d’ouverture de bal. Une fois de plus, Kelvin Swaby te tombe dessus, c’est une brute, une énorme brute black et ses amis claquent bien la paillasse du rock. Le son tombe d’en haut, comme les chutes du Niagara, la violence du choc te déplace la cervelle. Encore du punch à la Cassius Clay avec «What Makes A Good Man». Ils saturent le spectre du son, c’est mastérisé à outrance, le casque saute dans tous les coins. Pour te mettre les oreilles en chou-fleur, c’est le cut idéal. Et puis voilà «Be Mine» qui sonne comme un hit interplanétaire - Take all my tears - Ce mec fait montre d’une présence inexorable - Take all my money/ Take all my time - Il lui donne tout, son temps, ses larmes, son blé et sa bite. Kelvin Swaby et ses amis créent leur univers de toutes pièces. Le gros stomp de «Same Ol’» est cousu de fil blanc mais ça n’est pas grave, le principal c’est que ce blackos chante tout le chien de sa chienne de vie, il épouse à merveille le désir de ses copains blancs qui veulent stomper le sol d’Angleterre. Ils terminent cet album superbe avec «Blood Dirt Love Stop», un vieux décombre d’Heavy Soul, fin de soirée chez les Heavy, c’est l’heure de Kelvin Swaby, il adore se glisser dans un satin jaune imaginaire. Il en a les moyens physiques et artistiques, sa glotte est montée comme celle d’un âne alors il peut déployer tout son génie de petit Soul Brother transplanté dans la vieille Angleterre.  

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Paru en 2016, Hurt & Mercyless est encore l’album de toutes les énormités. Boom dès «Since You Been Gone», ce big Soul crunch de bad downhome rock, c’est joué au heavy Heavy, au deep down beat, le meilleur d’Angleterre, et Kelvin Swaby n’en finit plus de courir sur l’haricot de la Soul. Laisse tomber Primal Scream, c’est The Heavy qu’il te faut. Ces mecs bouffent littéralement la motte du rock. S’ensuit un «What Happened To The Love» brûlé dans les grandes longueurs, ça court au long d’un fucking drive, Kelvin Swaby chante comme James Brown, il met le feu aux plaines. Avec «The Apology», ils font du raw r’n’b explosif, Kelvin Swaby est un démon, il taille sa route dans le son, il chante avec l’énergie de James Brown, il écrase son champignon, ces gens-là évoluent bien au-delà du Brit tock. Ça repart de plus belle plus loin avec «Last Confession» qui sonne comme le «Lust for Life» d’Iggy. Même assise rythmique. Ils y vont de bon cœur. C’est tout ce qu’on leur demande - This is my last confession - Kelvin Swaby a l’air catégorique. Ils nous font même le coup du final explosif. Ils attaquent «Mean Ol’ Man» au Stax d’Heavy. C’est bien vu, en plein dans l’angle, chœurs et beat de rêve. Kelvin Swaby est toujours prêt à incendier le killing floor, comme le montre encore «Slave To Your Love». Il est infernal. Encore pire que le MC5 et Mitch Ryder. Ces mecs carburent au slave to your love, c’est en place. C’est tout de même incroyable qu’un groupe puisse sortir ce son en Angleterre !   

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Paru en 2019, Sons reste pour l’heure leur meilleur album. C’est une véritable poudrière, boom encore dès «Heavy For You», tapé dans une heavyness inimaginable, ils ont même l’air complètement dépassés, Heavy for ya ! C’est beaucoup trop heavy, on ne sait plus si on entend du big Heavy ou du heavy Heavy. Trop c’est trop. Kelvin Swaby casse la baraque avec «The Thief», il s’adresse aux poulets, il a du son, trop de son. Le gros avantage qu’ils ont sur Primal Scream, c’est qu’ils disposent d’un vrai shouter. Ça change tout. Ils passent au groove de funk avec «Better As One». Kelvin Swaby y va franco de port, c’est heavy on the beat, il fait son James Brown. On les voit ensuite partir en cavalcade infernale avec «Fire» et ça se termine bien sûr en final apocalyptique. Kelvin Swaby est au-devant de tout, surtout de «Fight For The Same Thing». Il fait de la wild Soul, il allume ses cuts en permanence. Tu ne peux pas battre The Heavy à la course. Avec «Put The Hurt On Me», Kelvin Swaby plie the Heavy aux lois du heavy funk. Puis il s’en va driver le funk de «Simple Things», là tu as le vrai black brother. Ces mecs ont du génie, qu’on se le dise ! Ils sont capables d’allumer autant que le MC5 («A Whole Lot Of Love»). Ils fondent leur heavy drive dans le Soul System avec un brio digne des grandes heures du MC5.

    Signé : Cazengler, the Heavynasse

    The Heavy. Great Vengeance And Furious Fire. Counter Records 2007 

    The Heavy. The House That Dirt Built. Counter Records 2009

    The Heavy. The Glorious Dead. Counter Records 2012  

    The Heavy. Hurt & Mercyless. Counter Records 2016  

    The Heavy. Sons. BMG 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Weaver report

             Il avait passé toute sa vie à tirer la langue, mais sa pauvreté faisait l’objet de sa fierté. Francisco se targuait d’être l’un des plus anciens RMIstes locaux. Un jour qu’on dégustait des huîtres sur une terrasse ensoleillée, il s’élança dans une périlleuse apologie de la pauvreté. Les verres de blanc aidant, il s’enflamma. Il essayait de me convaincre des bienfaits de la pauvreté et il posa au sommet du gâtö de son raisonnement la cerise que voici : la pauvreté, c’est la liberté ! Avec l’arrivée de la troisième bouteille de Sancerre, l’idée parut incontestable, portée par un lyrisme hugolien qu’on ne lui soupçonnait pas. Il compara nos deux situations : comment pouvait-on accepter de bosser pour un patron, de payer des impôts, de payer un loyer, à ses yeux tout cela était inacceptable, il me traita gentiment d’esclave et m’assura de sa compassion. Et il repartit de plus belle, arguant que la vie était trop précieuse pour qu’on pût la gaspiller, il affirma qu’il valait mieux être libre que d’être riche, son enthousiasme ne connaissait plus de limites. Un capitaine de flibuste ne serait jamais allé aussi loin dans l’apologie de la liberté. Puis la conversation bascula sans qu’on sût pourquoi sur le rock’n’roll, celui des pionniers, dont il était friand. Au temps de son adolescence, il appartenait à un gang de rockies qui circulait à bord d’une DS pour aller voir chanter Gene Vincent, Jerry Lee, Vince Taylor et tous ceux qu’on pouvait choper en France.

             — Francisco, sais-tu que Jerry Lee, Chuck Berry et Little Richard viennent jouer au Zénith le mois prochain ?

             — Non, chavais pas. Aussi bien, c’est réglé, j’ai pas un flèche.

             — Mais il n’est pas question que tu payes. T’es invité !

             — C’est ça, appelle-moi con... Invité par qui d’abord ?

             — Ben par Jerry Lee !

             — Tu déconnes !

             — Non, tiens, voilà ton billet. Tu vois, au dos, il a mis un petit mot pour toi...

             Francisco m’arracha le billet des mains et lut à voix haute la petite phrase :

             — Putain l’enfoiré qu’est-ce qu’il écrit mal... For... my... ch...

             — Chap... For my chap !

             — Ah oui, c’est ça, for my chap Frenchisco...

             Et là, bouleversé, il se mit à chialer.

     

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Pendant que le morve de Francis coule sur le cadeau de Jerry Lee, Martin Weaver bâtit sa légende. Ils n’ont en commun que la pauvreté, enfin, c’est l’idée qu’on se fait de Martin Weaver, même si on n’en sait rien. Mais quand on est underground à ce point-là, on ne doit pas être bien riche. Alors pour les besoins de la goldmine, faisons de Martin Weaver un homme très pauvre, ce qui permet de l’apparenter à notre vieux RMIste. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Par contre, on est bien certain d’une chose : Martin Weaver n’est pas un amateur. En 1968, il opte pour la formule power trio et démarre un projet nommé Wicked Lady. Le groupe splitte en 1972. Leur premier album paraît en 1993 et s’appelle The Axeman Cometh et on voit tout de suite, avec «Run The Night» qu’ils sont bien décidés à en découdre. Grosse énergie, avec un côté pète-sec. Martin Weaver est le prototype du soliste décidé à enfoncer son clou. Son côté «je-fonce-tout-droit/advienne-que-pourra» l’honore. On voit aussi avec «War Cloud» qu’il sait monter des œufs en neige. On trouve le morceau titre en B. Il est un peu long et déborde du cadre, mais c’est bien, Weaver est un chic type. Comme les cuts sont longs, le rééditeur spanish Guerssen a prévu un double album. Ils attaquent la C avec «Wicked Lady». Ces mecs se posent sur un riff et partent en mode hypno. Simple et efficace. Alors Weaver peut partir à l’aventure. On entend de belles échappées belles dans «Out Of The Dark». Weaver n’a aucun scrupule, il s’en va wahter dans le cosmos, il est passionnant et on n’en perd pas une miette. Il peut se montrer très cosmique, très interrogateur, il questionne sans fin les insondables mystères de l’espace. Même si parfois ses thèmes ne payent pas de mine, Weaver s’arrange toujours pour allumer ses lampions à coups de wild frantic drive de distro, comme le montre «Living On The Edge». Cette façon qu’il a de revenir dans le thème fait de lui un immense axeman, il joue à l’incendiaire préméditée, il inflige de sérieux revers aux tempérances, il est une sorte de délice approprié, il oblige les gongs à plier, il délatte les jambages, il taille à la volée, il enjoint le mitan à gagner les bords, il est l’envoyé des dieux fumants d’un Olympe sonique.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Leur deuxième album s’appelle Psychotic Overkill. Joli titre et ouverture de balda avec le mythique «I’m A Freak» - I’m a freak baby - cisaillé dans les tibias, fabuleuse présence de freak baby - On a losing streak/ And I’m coming after you - Aw yesssss, Martin Weaver sait de quoi il parle. Ce power trio est imbattable. C’est d’ailleurs cet I’m a freak baby qui donne son titre à une merveilleuse collection de coffrets heavy-rock chez Grapefruit. La surprise de ce double album est l’impeccable cover de «Voodoo Chile». On peut même parler d’une belle cover d’uncoverable, Weaver est dessus, il épouse Jimi comme le serpent épouse Eve, dans ses contractions octoïdales, Weaver est fabuleusement fidèle au spirit du Voodoo. Autre grosse surprise avec «Passion», en ouverture de B, joué à la heavyness. Ils s’installent dans le confort de leur fournaise, alors Weaver peut raconter son histoire - Everybody needs a hand - Oui, c’est ça. Il a raison, en plus. Leur «Tell The Truth» est encore bien traîné dans la boue. Ils s’amusent bien tous les trois, ils remettent leur petit train en marche, le gratté de cocotte de Weaver sonne bien caverneux, ça sent l’incisive pourrie de l’intérieur. Encore de la belle cocotte creuse en C avec «Why Don’t You Let Me Try». Quel son ! Ils sont dans leur monde, il ne faut pas les embêter avec nos commentaires à la petite mormoille. Ça monte sur la cocotte de Weaver, ça devient vite insidieux - I should do a lot of things baby/ Why don’t you let me try - Ils redeviennent plus classiques avec «Sin City» et des couplets de British Blues montés sur la cocotte salée du vaillant Weaver. Il est toujours à la manœuvre, il cocotte sec et part en virée, ses solos restent extrêmement élégants. Ils bouclent en D avec «Ship Of Ghosts». Ils savent lancer une machine. Cut classique mais inspiré. Ils multiplient les zones musculeuses et ça se développe en permanence. Ces mecs se situent au-delà de tout soupçon, avec cette belle basse d’attaque frontale de pompompom-poutoutou-poum. On leur tire un beau coup de châpö. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Pas de surprise avec On The Treshold Of Reality, l’album des Mind Doctors qui, selon des sources obscures, aurait été enregistré en 1976 et publié pour la première fois en 2002. C’est un album de pur drugbuddy freak-out. Weaver donne du temps au temps, comme le veut la loi du psyché. Chaque cut est l’illustration sonore d’un voyage intérieur, ou d’un acid trip, ce qui revient au même. Tout s’en va rejoindre la voie lactée. Weaver reste un musicien expérimental. Il faut laisser le temps aux roses d’éclore, tel est son message. Le cut qu’on retiendra s’appelle «Praeludian 3 (Bach)», amené par un très beau thème de guitare. On se croirait chez Peter Green. Les notes s’accrochent dans les plis du groove. Tous les cuts de l’album sont des intros, pas de chant. À toi de jouer avec ton oreille. Tu y vas ou tu n’y vas pas. Les cuts s’enfilent en enfilade et s’en vont se perdre dans l’écho-dream. Quatre ou cinq cuts s’enchaînent, c’est sûrement voulu par Weaver. Inutile de vouloir savoir le pourquoi du comment, Weaver milite par une diaspora psychédélique où tous les cuts et tous les sons iraient se fondre dans une même voie lactée. Libre à toi de t’en contenter ou pas.

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Grand retour de Martin Weaver dans les années 20 avec Doctors Of Space. La médecine de l’espace vaut bien celle de l’esprit. Il applique son premier traitement avec First Treatment. Pas la peine d’attacher ta ceinture, «Journey To Enceladus» est un acid trip configuré. On note une belle évolution des tendances hallucinantes, avec une guitare qui se fond dans les spoutniks. Pure énergie cosmique. Tu as là tout le mieux du pire. Les vagues sont belles et même parfois inespérées. Martin Weaver propose une suite à Syd Barrett, enfin, sa vision de la suite. Mais qui va écouter ça aujourd’hui, à part les stroumfphs habituels, les explorateurs d’espaces underground ? Cette culture s’englue dans son passé trippeur, mais c’est ce qui fait sa force. Au moins elle est à l’abri des méfaits de la pseudo-modernité. Ces gens-là taillent leur route dans l’undergound, à l’abri les regards torves et avec du son. Martin Weaver revient aux affaires. Il nous embarque pour 21 minutes avec «Into The Oort Cloud», tu entends bien les machines de l’espace. C’est toi qui décides, tu y vas ou tu n’y vas pas. Tu peux te fier à Weaver, il ne déçoit jamais. Son Oort Cloud est plein d’aventures, monté sur un gros beat de percus, alors ça devient un jeu d’enfant, bien dirigé, tu suis car c’est bon, Weaver sait créer la magie hypnotique, si tu veux de l’hypno à gogo, c’est là, il chevauche son drive d’hypno comme s’il montait un cheval blanc. On se souviendra de cette cavalcade. Encore une merveille avec «Ceres Rising». Scott Heller fait le programming des spoutniks hallucinés, c’est de l’Atmospheric & rac, du beautiful Ceres construit sur le répétitif d’une séquence organique. Fantastique dégelée royale de Mad Psychedelia ! Et on assiste médusé au retour du thème. Du coup, on y retourne. Les Doctors Of Space ont du génie. 

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Le Dr Weaver continue de prodiguer sa médecine de l’espace avec The Covid Sessions. En fait, les Doctors Of Space ne sont que deux : Dr Weaver, guitare, et Dr Space aux synthés. On trouve de vieux remugles de Wicked Lady dans «Hold My Beer». Dr Weaver is on the move. Il joue dans le groove comme il l’a toujours fait. Il donne du temps au temps des cuts, jamais moins de six minutes. Dans «From The Depths Of The Universe», on assiste à un joli développement. Il faut être sous acide pour profiter pleinement de cette aubaine. Le Dr Weaver explore l’univers. Il s’en donne à cœur joie, ça joue vraiment dans l’espace. Bass, guitar, cover painting, tout est signé Dr Weaver. Comme son nom l’indique, «Afro Ghost Ritual» est une belle démonstration de beurre tribal. Mais tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà de la condition humaine. Ainsi va la vie. Il amène «Frankie Coca» au groove de basse. Il se balade dans le son comme dans l’espace, léger comme une plume, il adore flotter. C’est comme s’il nous disait : regardez comme je flotte bien. Il est doué pour la flottaison, comme le montre encore «Untouchable Trademark». C’est son vieux dada. Il adore dérouler sa psychedelia, elle est bonne et longue comme une nuit de Chine, il est le roi des drones et se moque ouvertement du succès commercial. On voit les falaises de marbre s’écrouler à l’orée de «Drowned In Drone», elles s’écroulent bien sûr dans le lagon d’argent, le Dr Weaver te concocte l’un de ces Big Atmospherix dont il a le secret, c’est très présent et en même temps dispersé dans le cosmos. Il ravage l’inconscient collectif à la wah définitive, c’est bien vu, bien cuit, bien entendu, les coups de wah débouchent invaincus dans l’univers, là tu as le vrai son de l’underground, ce magnifique mix de wah et de spoutniks. Le Dr Weaver n’en finit plus d’arroser sa fin de cut de wah divine.     

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth,kim salmon,eddie piller,lawrence,the heavy,wicked lady

             Les ceusses qui se paieront le voyage  de The Astral Sessions Vol 2 - The Spacious Void Of Mind se régaleront de «Bursting Bonso», un cut organique qui se développe en direct sous nos yeux, à partir d’un thème de synthé et des volutes du Dr Weaver. Ils passent vite en mode hypno et ça devient terrific. Formule gagnante, combinaison explosive, et la guitare s’envole par-dessus le groove hypno du thème aztèque, ils génèrent des petites plages de calme pour repartir de plus belle et ça tourne à la folie pure, l’hypno du thème aztèque remonte à la surface comme une menace et ça te donne au final l’un des meilleurs shoots d’hypno de tous les temps. Le Dr Waever monte ça en neige du Kilimandjaro. Les vagues sont claires et nettes : elles sont là pour vaincre. Et puis après les tempêtes, ça revient toujours sur le thème aztèque, ils ne sont jamais paumés, ils peuvent tenir 13 minutes sans problème. Le beat est parfois à côté du tempo, mais c’est sûrement voulu. Ces deux vieilles barbes combinent l’incombinable : les riffs psychédéliques et les spoutniks, un peu comme au temps d’Hawkwind. Mais pour la mad psychedelia, on peut faire confiance au Dr Weaver, il en est l’un des maîtres. Dès «Vortex Jam», on entre dans des remous de glouglou et on s’en accommode fort bien. Ce sont les motifs synthétiques du Dr Space qui nous ramènent chaque fois dans l’actualité. Ses spoutniks sont obsessionnels, alors que le Dr Weaver voyage dans le son comme un gros vampire affamé de ténèbres. «The Way Clear» est un jus de jam informelle, perdu dans le délire d’une vision, mais c’est assez monumental. Ces deux vieilles barbes taillent des falaises dans le marbre. Le son se déplace comme de gros nuages dans le ciel de l’Olympe. Tu sais que tu voyages. C’est le plus important. C’est encore le Dr Space qui amène «The Quiet man» au sequencing, alors c’est tout de suite hypno, les pieds dans le tapis, tout est très bien calculé, fabuleusement imaginé, all over a certain space, le beat organique du Dr Space bat comme un cœur, un gros cœur de bœuf, on croit entendre des personnage du Satyricon de Fellini dans ce délire.

    Singé : Cazengler, Weaver de terre

    Wicked Lady. The Axeman Cometh. Guerssen 2012

    Wicked Lady. Psychotic Overkill. Guerssen 2012

    Mind Doctors. On The Treshold Of Reality. Kissing Spell 

    Doctors Of Space. First Treatment. Space Rock Productions 2020  

    Doctors Of Space. The Covid Sessions. Doctors Of Space 2021    

    Doctors Of Space. The Astral Sessions Vol 2. The Spacious Void Of Mind. Doctors Of Space 2022

     

    *

    What is it, ce couple préhistorique marchant main dans la main, tiens les rôles sexuels sont déjà partagés, l’homme tient d’une main une massue de chasseur et de l’autre sa compagne future reproductrice se contente d’être belle, je ne voudrais pas que l’on m’accuse d’indélicatesse, mais elle ne possède pas… disons une poitrine opulente, d’ailleurs ne serait-ce pas un jeune garçon. J’avoue que question homosexualité préhistoriale je n’y connais pas grand-chose. Regardons la chose de plus près. Remarquons que le titre du CD est d’origine grecque, Philia, que vous pouvez traduire par ‘’amitié’’. Toujours un peu ambigüe l’amitié chez les grecs, à part que les grecs antiques portaient la chlamyde et n’étaient pas vêtus de fourrures d’animaux sauvages. Sauf Héraclès qui promenait fièrement sur son dos la peau du lion de Némée sur son dos.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Vous ouvrez la pochette et les notes vous aident à comprendre : reproduction d’une gouache de James Tissot (1836 – 1902 ) intitulée : Caïn menant son frère Abel à la mort… Très intéressant, les fans de metal se revendiquent plus facilement de la descendance forgeronne de Tubal Caïn que de la race bêlante d’Abel, notre devoir de kroch-niqueurs nous enjoint de nous pencher sérieusement sur le problème.

    PHILIA

    EUCHRIDIAN

    ( Tattermalion Records / Septembre 2023 )

    Aucune information particulière sur ce groupe si ce n’est qu’ils viennent d’Ecosse.

    Matt Davies : vocals, lyrics, riffs, arrangements / Guillaume Martin : guitar, bass. / Mika Kallio : drums.

    Donc la couve, nous ne nous y attarderons que pour remarquer que James Tissot fut élève du lycée de Vannes en même temps que Villiers de l’Isle Adam et ami de Whistler et de Manet tous trois très proches de Mallarmé. Il fut un peintre connu qui sut rester dans les canons de la modernité sans tomber dans des outrances. Le lecteur pourra comparer Le déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet avec sa Partie Carrée ( 1870 ), titre des plus borderlines, et comprendre ainsi pourquoi il refusa d’exposer avec les impressionnistes. Suite à une crise religieuse, à partir de 1888, il se consacra exclusivement à des sujets bibliques. Ce n’est pas un hasard si ce portrait d’Abel et Caïn est assez équivoque. Ses portraits de jeunes dames excessivement huppées et vêtues n’attendent que l’œil oblique du spectateur qui les déshabillera. Est-ce significatif si le premier titre de l’EP se nomme ‘’douceur’’ pour évoquer le clair côté de la force.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Pour le versant obscur de ladite force du désir, le dos du CD présente une gravure de Frederic Leighton (1830 - 1896), intitulée Caïn et Abel, le regard est attiré par Caïn cachant sa face contre un rocher, ployant sous le poids du remord, à moins que ce ne soit celui du regret quand l’on porte les yeux sur le corps nu d’Abel comme une amante prête à s’offrir. Leighton est classé parmi les préraphaélites, génération qui rendit l’ambiguïté d’autant plus explicite qu’elle était d’autant plus ambigüe… C’est aussi un tableau de Leighton que Telesterion a choisi pour illustrer la pochette de son dernier CD chroniqué dans notre livraison 617 de la semaine dernière.

    Sweetness : un riff que vous me permettrez de qualifier de marécageux sur lequel la batterie s’en vient faire de grands splashes, en eaux troubles, le rythme est lent et la voix gutturale, imaginez vos gargouillis alors que vous injuriez et maudissez l’ennemi en train de vous étrangler, atrocement beau, la beauté de l’horreur indicible, les lyrics sont à la hauteur, non il n’y a ni colère, ni rages exprimées, aucune brutalité, la guitare chante au loin, car c’est bien un chant point d’amour mais de désir, la mère a perdu un de ses deux fils, mais il ne s’agit pas d’Eve mais d’Ashera cette ancienne déesse, qui fut la prime déesse, celle dont on ne sut quoi faire lorsque les tribus guerrières et conquérantes voulurent un dieu mâle à leur ressemblance, Yahweh puisque vous voulez connaître son nom, alors on donna Ashera comme épouse à Yahweh… Caïn n’a pas été jaloux d’Abel, il le désira autant que Yahweh désirait Ashera, toutefois l’exemple de Yawheh indiquait l’individu femelle comme réceptacle du désir mâle, pourtant le charme charnel d’Abel si gracile… Cette version de la légende caïnique n’est ni très rabbinique ni très catholique je l’admets, elle s’est perpétuée toutefois jusqu’à aujourd’hui par divers canaux ( par exemple La Cèbe de Léonard de Vinci ), sous une autre forme, ce n’est pas l’idylle de Dieu avec Ashéra mais celle du Christ avec Marie-Madeleine, légende dans laquelle on se plaira à entrevoir  un avatar religieux de la montée du féminisme actuel. The rule of three : avis aux amateurs, nous sommes en plein du côté obscur de la force. Un guitare impitoyable tamponne le bourdon d’un riff dans vos oreilles, vous détesterez ces écrasements de batterie qui passent sur vous tel le rouleau compresseur sur le dos du crapaud, quant à la voix c’est celle de la conscience qui interroge Javert dans Les Misérables, sûr qu’elle vous pousse au suicide, avant de commettre cet acte fatidique que vous ne regretterez pas car il sera trop tard, examinons la situation sereinement, si cette implacabilité musicale vous laisse la possibilité de réfléchir. De prime abord c’est très simple : pourriez-vous appeler amitié le sentiment que vous éprouvez si subrepticement vous poussez dans le dos ce beautifull friend qui s’écrase la tête la première trente mètres plus bas sur le rocher. Pendant que vous vous interrogez les musicos essaient de transcrire le travail émotionnel de vos méninges qui s’escriment à répondre à cette question simple. Musicalement, vous adorerez, c’est d’une violence inouïe, parfois vous avez une césure, ce genre de faux-plat que les cyclistes détestent parce que la côte innocente leur coupe les mollets, la basse continue son train-train insidieux et la batterie vous abreuve de triolets rythmiques déconcertants, peut-être pour que votre esprit s’intéresse à cette fameuse règle de trois qu’il faut ou qu’il ne faut pas enfreindre. Un dernier hurlement de quelqu’un qui s’écrase sur un rocher. Ouf c’est fini. Oui mais qui vient de tomber ? Pas le copain que vous avez proprement occis en l’envoyant voir ailleurs si vous y étiez, pas vous-même puisque vous êtes vivant. Quelle est cette troisième personne ? La règle de trois peut-elle mathématiquement se déchiffrer comme une équation dont il faut extraire l’inconnue. Bien sûr j’ai la réponse : elle est écrite en toutes lettres dans les quatre premiers vers du premier morceau : In the moonlight / She wraps around me / And you become me / A trinity of insanity /. Le troisième membre de la trinité serait-il le désir qui joint (ou ne joint pas) un être à un autre être. A deux serions-nous toujours trois ? Et si le désir n’est pas là, où est-il ? Dans quel carrefour hécatien se niche-t-il ?

             Si vous aimez le doom, ce CD qui ne ressemble à aucun autre est pour vous.

    Damie Chad.

    Le nom Euchridian qui si l’on en croit les racines grecques signifierait ‘’ heureuse brisure mentale’’ est d’après nous forgé à partir d’Euckrid nom du héros d’un conte de Nick Cave’And the Ass saw the Angel’’ paru en 2012.

    *

    Ils ne veulent ressembler à personne. Ils ne donnent même pas leurs noms, tout ce que nous savons c’est qu’ils se réclament du Massachusett.

    GRAVE SPEAKER

    (Piste Numérique / BC / YT / 13 - 10 – 2023)

    Un petit indice au bas de la pochette, ce chiffre 17, encore un truc pour avertir les parents américains que leur progéniture court de graves ( c’est le cas de le dire ) dangers (sans parler des dommages collatéraux) s’ils écoutaient par hasard cet opus. Le plus marrant ce sont les quatre notifications en rouge dans le carré blanc : Satanic Worship (culte satanique), Gory imagery, Fantaisy Violences et le plus étonnant Face Melting Riffs, on est donc loin du saint riff rédempteur de nos french Barabbas !  Bénédiction de ce côté-ci de l’Atlantique malédiction sur l’autre rive. Heureusement dessous il est rappelé que cet objet maléfique est destiné à to be play louded, ainsi quand les parents l’écouteront les gamins de moins de dix-sept ans pourront aussi l’entendre malgré la porte fermée à clef.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Pochette sataniste, je veux bien, mais on a vu mieux pour exprimer le pire, monochrome rouge, de loin on pense plutôt à un groupe qui se revendiquerait de la Révolution russe ! Quand on ajuste ses lunettes on reconnaît dans la figurine noire la silhouette d’un chevalier du Temple ce n’est que lorsque l’on pose son nez juste au-dessus mode hélicoptère en vol stationnaire que l’on reconnaît sous le capuchon noir… la Mort. Auraient-ils lu la dernière aventure des Services Secrets du Rock’n’roll, fidèlement rapportés dans nos colonnes d’après le journal intime de l’Agent Chad ?

    Blood of old : quelques notes lourdes comme des gouttes de plomb fondu que l’on vous verserait dans la gorge, de surcroît la basse coupable de ce vil méfait se permet de swinguer comme si elle était en train de jouer dans le quartet de Charlie Parker, les cymbales vous font entendre ces désagréables cisaillements infinis, ce cliquètements de monnaie de singe, dont elles sont coutumières et la loco-doom se met en marche, sans se presser, elle traîne derrière elle un lourd convoi, attention  son shuffle au ralenti n’arrêtera pas de tout le disque, c’est la donnée de base, une guitare essaie de pousser quelques coups de sifflets stridents pour se faire remarquer, mais ils ne parviennent pas à recouvrir le roulement funèbre de ce convoi mortuaire. J’allais oublier le principal, ces lourdes tentures de voix qui s’élèvent  de temps en temps, des espèces de menaces adjugées sans préavis, ce qui n’est pas fair-play puisque nous sommes les premiers concernés en tant qu’espèce humaine destinée à être éradiquées, après quoi les guerriers qui nous auront occis et leur chef s’endormiront pour mille ans. Earth of mud : on croyait être tranquille pour mille ans, mais non le train cauchemardesques reprend son trajet, la voix lointaine s’élève sur les premières mesures, de quoi refroidir votre sang dans vos veines, elle assène ses dix-huit vérités à la queue-leu-leu sans se presser, ponctuées de coups de batterie mélodramatiques, c’est Lui qui parle, qui est-il au juste, cela importe peu, au début vous vous retrouvez dans une situation que content les Eddas vikings, celle du combat de la fin du monde, soyons fataliste, le pire n’est-il pas toujours certain, mais une maudite guitare claironne bien fort les points sur les i, vous ne vous en tirerez pas à si bon compte, quand le drame sera terminé, ça recommencera ad vitam, enfin ad mortem, aeternam, car tous les mille ans il faudra remettre le couvert. Non la terre n’est pas un tas de boue comme le titre l’énonce si poétiquement. Juste un tas de merde. The bard’s theme :  comment font-ils pour augmenter ce sentiment de frustration qui monte en nous au fur et à mesure que l’intensité du riff augmente, très simple ils augmentent la dose, la guitare s’en vient faire son numéro en haut du trapèze et le speaker nous raconte une belle histoire. Un véritable film médiéval avec des scènes chocs, la guitare imite les gémissements de la Reine du château qui copule avec Lui l’Immortel, elle a trahi le Roi, mais qu’auriez-vous fait à sa place. Tirez-en la bonne leçon, un jour vous mourrez, que vous le vouliez ou non. C’est votre destin, ne vous préoccupez pas de Lui, l’Immortel survivra. C’est son destin.  Grave speaker : Il se tait, Il ne parle plus, le silence n’est-il pas la parole la plus criminelle, il est gentil durant son absence la musique se fait douce, elle vous berce, la loco-doom glisse sur les rails du rêve, les vôtres, quand le Maître ne parle plus vous imaginez l’impossible, au loin Il se gargarise sa voix imite les Choeurs antiques, celles des drames les plus noirs, puis plus rien, la solitude est-elle la meilleure des compagnes, vous êtes un chien perdu sans collier, mais au loin les échos de la vois du Maître retentissent, vos tourments s’apaisent, vous avez retrouvé votre chemin il est pavé de vos meilleures intentions, la voix doucereuse caresse votre échine. Earthbound : pourquoi ce doom funèbre laisse-t-il échapper comme une plainte narquoise, est-ce le moment de la grande explication, non pas avec vous, mais avec celui tout en haut qui L’a précipité dans la chute, le riff se déplie tel un grand serpent qui lève la tête et monte sans arrêt vers les hauteurs du ciel, il est l’heure de mourir, non pas pour vous, pauvres humains mais pour l’autre Lui qui se sent inaccessible cadenassé dans sa forteresse imprenable. Il l’appelle, Il Le défie. Make me crawl : un bourdonnement allègre, pour une fois la vitesse augmente sensiblement, la basse ravageuse entonne le halali, la batterie devient butoir qui cogne sur les portes du Paradis, les hordes démoniaques entonnent le chant de guerre, tu veux me faire ramper, tu vas voir ce que tu vas voir, la guitare s’abat et fend les heaumes des cohortes célestes, elle entonne le clairon celui qui mène à la victoire pendant que l’on patauge dans des flots de sang angélique. Le portail vole en éclats.

             Ce n’est pas un CD à écouter mais un film à grands spectacle à regarder. Le Grave Speaker n’est pas fou, il interrompt l’action au moment décisif. Que va-t-il se passer ? Qui remportera la victoire ? Le principe du Mal ou le principe du Bien ? Ce qui est sûr c’est que Grave Speaker sortira la deuxième pellicule l’on se précipitera pour voir l’Episode 2. Comme cela au lieu de répondre ‘’c’est vachement bien’’ à ceux qui nous demanderont si ça vaut le coup d’aller le voir, tous en chœur on répondra : ‘’ C’est vachement mal !’’ et l’on ajoutera : ‘’ D’ailleurs c’est interdit au moins de soixante-dix-sept ans !’’.

    Damie Chad.

     

    *

    Un peu de rangement n’a jamais fait de mal à personne ( c’est vous qui le dites ), coincé entre deux tomes du Littré, un CD égaré-là je ne sais comment,  un sampler de la revue Metallian, des années que je ne l’achète plus, c’est vieux, confirmation immédiate au dos de la pochette, CD offert avec le N° 72 de Metallian Magazine, en 2012, aucun souvenir de l’avoir écouté, je scrute la liste des seize titres, je dois être d’humeur chauvine, ou alors c’est le flair du rocker,  je cherche les groupes français qui proposent des titres en français, n’y en a qu’un, le dernier de la liste Situs Magus, oui je sais c’est du latin, mais le titre de l’album est en français Le Grand Ouvre. Je suis certain que c’est un opus alchimique, première fois que je rencontre l’expression Grand Ouvre pour Grand Oeuvre, je trouve cette notion d’ouverture associée à l’alchimie profondément intéressante. Après vérification juste une erreur typographique, il faut lire :

    LE GRAND ŒUVRE

    SITUS MAGUS

    (Avant-Garde / Septembre 2012)

    J’ai retrouvé leurs traces. Mais ne serait-ce pas un individu solitaire. Facilement. Deux articles élogieux sur les webzines Trashocore et La Horde Noire parus à l’époque de la sortie. L’est sorti en CD mais aussi sous forme d’une metalbox tirée à 75 exemplaires. Divers sites payants ou gratuits vous proposent d’écouter l’opus. Preuve que ses géniteurs tiennent à ce que le contenu ne soit pas perdu. Ce n’est pas une question de gloriole personnelle, les noms des musiciens ne sont pas notifiés, mais le désir que la ‘’chose’’ ne se perde pas. Preuve qu’ils y accordent non pas une certaine importance mais une importance certaine. Démarche typiquement alchimique. Ceux qui chercheront trouveront. Quant au nom du groupe, je traduirai ‘’ Situs’’  non pas littéralement, mais par ‘’accompli’’. Le mage accompli car il a réalisé l’œuvre au rouge.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    La couve a de quoi dérouter. De prime abord, un petit côté capharnaüm, en bas l’on discerne tout l’attirail nécessaire à l’alchimiste, un traité secret, l’athanor, les cornues, une tête de mort surmontée d’un corbeau, au-dessus une représentation du sphinx les yeux levés vers les cieux, semble tenir entre ses mains un homonculus. Ensemble bien mystérieux pour les néophytes en alchimie…

    J’entends avant même qu’ils n’aient prononcé le moindre mot des lecteurs s’écrier, moi je ne crois pas à l’alchimie. Moi je crois au Père Noël. Parce que je sais qu’il n’existe pas. C’est en ce sens que vous pourriez dire que vous croyez en Dieu. Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire en Dieu ou en l’alchimie. Mais de penser Dieu ou l’alchimie. Penser Dieu n’est-ce pas créer au-dedans de soi un petit homonculus. Penser l’alchimie est déjà plus difficile, car l’œuvre alchimique est ardue. Les modernes, disons les (bo)bodernes aiment à penser l’alchimie comme une spiritualité. Un peu comme le zen. L’alchimie est avant tout une pratique. La chose qui s’y apparenterait le plus serait l’équitation. Parce que malgré votre adresse tout dépend du cheval. Il est des chevaux particulièrement retors. Surtout ceux qui parlent la langue des oiseaux. Et toc. Enock.

    Ouverture : sonorités étranges venus d’ailleurs, de l’intérieur de soi, bruitages tubulures, vagues phoniques intumescentes, viennent-elles vers vous ou vous emmènent-elles ailleurs, juste les premiers pas décisifs, sommes-nous sur le sentier désagrégatif de toutes les choses du monde ou sur la sente obscure de l’unité qui se confond avec le chemin du serpent qui y pourvoie. Œuvre au noir :  à peine avez-vous entrepris le premier pas que le monde se décompose, vous êtes entré dans le monde de la mort, de la mortification du terreau initial, pour ce faire la première opération consiste à défaire, de se défaire de soi-même et d’entrer dans la stérilité du monde, musique en tant que déambulation, étape après étape, coupées par des instants de repos et de contentement de l’œuvre désaccomplie, la voix gutturale de la mort chuchote à votre oreille, c’est vous qui êtes en train d’agonir, vous tenez la barre de votre désintégration, ne pas oublier que celui qui s’enfonce dans la mort est le bourreau qui décapitera le corbeau des illusions abandonnées, une lente glissade vers quelque chose qui se transforme en étron de néant, en êtron de rien, toute défaite est une victoire, les cloches sonnent, les mêmes qu’au début, vous avez composté le lieu en un tas résiduel, mais le temps subsiste, car il y a un temps pour tout. Œuvre au blanc : une continuité avec ce qui précède car si le tout peut être considéré comme une unité indivisible, le pareil devient le même, jusqu’à lors nous avions affaire à un étrange ballet de sonorités argileuses surgies de nulle part, voici  une rassurance, c’est bien un groupe de rock qui joue, fausse assurance qui ne dure pas, la monstruosité se réveille, jamais le background n’a été si compatible avec le jeu d’un groupe de black metal, la pâte monte, elle gonfle, il semble qu’elle va éclater, mais non le cataplasme  retombe comme un soufflet raté, est-cela l’aube du monde, cette course éperdue vers une innocence révolue, emballement musical, estompée par des pas bassiques, reprises du cheminement dans l’extérieur de soi, s’il y a une unité c’est celle qui coordonne le moi avec le non-moi, l’être avec le non-être, cris déchirés, l’on assiste au couronnement de la vierge, à son dévoilement, glissement, crissement de tulle, la blancheur point, elle voit le jour, elle s’identifie à lui, comme il devient elle, un tout indiscernable qui monte en éblouissance, l’on n’a jamais été aussi proche du but que l’on n’atteint jamais car la blancheur opalescente du lait n’est pas le lait. Contemplation. Le regard n’est pas la chose contemplée. Œuvre au jaune : stade intermédiaire de l’accomplissement. L’aurore du jour écarte ses doigts  de rose jaune, la monstruosité phonique est en accord avec l’horreur indicible de la voie de l’accomplissement, le chemin tourne sur lui-même, il pleut une espèce de douce coloration incarnadine qui s’étend au monde entier de l’animalcule végétatif en formation, tout se précipite jusqu’ à prendre la coloration du sang des règles. Etourdissement triomphal. Jusqu’ à cet écroulement rampant. Œuvre au rouge : victoire de la rubification, L’œuvre n’est pas seulement, elle est réalisée. Tunnel incompréhensif de décompression. Toute la puissance du monde coagulée en l’extraordinaire pouvoir d’être hors des griffes du temps et de l’éternité du lieu de toute présence. Ce n’est pas un cadeau, mais un fardeau, pour un peu le chant deviendrait compréhensible, moment d’égarement de la folie qui saisit la sagesse et copule arbitrairement avec elle car le tout se confond avec elle, la démesure de l’esprit déploie ses ailes de phénix sur le monde. Arrêt brutal, la musique revient à ses débuts, tout n’est-il pas compressé. Quelque chose a-t-il vraiment changé. Vous avez franchi un palier qui ne mène à rien puisqu’il mène à tout. N’êtes-vous pas Prométhée attaché à son rocher avec cette faculté inouïe de se détacher quand il veut, pour se retrouver face à l’immense rocher rouge de sa volonté, qu’il suffit de réduire en poudre pour enfin comprendre que lorsque la totalité du monde s’incarne en un seul individu, celui-ci n’est pas encore sorti de lui-même. Débâcle sonore déculminatrice. Barrissements. Retour à l’initialité de toute infinitude.

             L’œuvre est magistrale. En est-elle pour autant grande ? En le sens que l’accomplissement d’une chose conduit autant à son début qu’à sa fin. Il semble que Situs Magus nous offre une vision très pessimiste de l’accomplissement alchimique. Non pas parce qu’elle risque de déboucher mais parce que tout accomplissement est essentiellement un échec.

             Victor Hugo n’amène-t-il pas Pégase au vert ?

    Damie Chad.

     

    *

    Un truc que je n’avais jamais remarqué, ça m’a sauté aux yeux avant même  la totalité de la couve du bouquin, une pub à même la première de couverture pour un autre livre : en l’occurrence Le roman des lieux et des destins tragiques, présenté par Les Editions du Rocher et Vladimir Fédérowski, j’étais un peu étonné parce que je ne voyais pas le rapport entre Fédérowski et la photo des Who au bas de laquelle la banderole réclamique attirait le regard, par contre le nom de Nicolas Ungemuth, je connaissais, de l’équipe de Rock ‘n’Folk, en plus les grosses lettres ROCK déclenche chez moi un réflexe de pavlov-dog. Donc j’ai pris.

     

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth

    LE ROMAN DU ROCK

    NICOLAS UNGEMUTH

    ( Editions du Rocher / 2012)

             L’apparition d’Ungemuth dans Rock’n’Folk fut assez folklorique. L’avait un tic, voire un toc, commençait toujours par démolir à la Grosse Bertha un de ces disques devant lequel le lecteur moyen de la revue s’inclinait à plusieurs reprises par jour chaque fois qu’il passait devant les rayonnages de sa collection de vinyles. Ne respectait rien, ni personne. En outre pour mettre le doigt sur les immenses lacunes de votre savoir rock il mettait l’opus qu’il honnissait en parallèle avec un album inconnu qu’il portait aux nues, il en hennissait de plaisir. Une vieille technique empruntée aux surréalistes, ne lisez pas ceci, lisez cela. Les premières fois c’était marrant, ulcérant pour les soupes-au-lait, mais on s’habitue à tout, et puis il ne disait pas toujours que des insanités Ungemuth.

             Le roman du rock, pas mal comme titre ai-je pensé, en fait c’est une collection dirigée par Vladimir Fédérowski (idée vraisemblablement pompée sur la collection de chez Laffont, Le dictionnaire amoureux de…)  ainsi la plupart des titres débutent par ces mots, exemple pris au hasard : Le roman du Mexique. Paru en 2012, manque de chance, il manque les deux dernières décennies, nous lui pardonnons, à l’impossible nul n’est tenu, par contre, beaucoup plus choquant à mon goût, impasse totale sur les premières années, rien sur le country blues, rien sur le rhythm’n’blues, et crime indicible, rien sur les pionniers.

             C’est un malin Ungemuth, débute par Elvis. L’a pressenti la critique. Certes c’est un pionnier, le meilleur de tous. Ça se discute. Le pire aussi. C’est ce côté qui intéresse avant tout notre Nicolas. L’est 0K pour Sun, le tout début chez RCA, ensuite il s’enthousiasme pour les enregistrements effectués à Memphis sous la houlette de Chips Moman, il applaudit le NBC Show. Il étrille le Colonel et voue aux gémonies les films qu’il fait enregistrer à son poulain. Qui ne serait pas d’accord avec lui. L’ajoute même que de-ci de-là, si l’on ne chipote pas trop, l’on décèlera quelques perles cachées. Après c’est la démolition en règle.

             Après Elvis c’est au tour de Dylan de passer à la moulinette. De 1962 à 1964, Bob is perfect, de Freewheelin’ à Blonde on blonde, vous ne trouverez jamais rien de supérieur chez Dylan et peut-être même chez les autres. Le mec ne révolutionne pas le rock, il lui fait atteindre une dimension, lui fournit tout le background culturel qui lui manquait jusqu’à lors. Ensuite Dylan se contente d’être un chanteur comme tous les autres, quelques bons albums, quelques mauvais surtout ! Une différence entre Elvis et Bobby. L’un a subi, l’autre a choisi. Une victime pathétique et un malin qui n’en fait qu’à sa tête. L’un coincé dans son statut de superstar, l’autre en profitant.

             L’on passe aux Stones, pas très bons au début, la meilleure période c’est entre Aftermath et Exile on main Street pour les albums, sans faire d’impasse sur quelques singles dévastateurs, z’ont leur botte secrète qui pendant un temps les tire de tous les errements, la formule Stone qui hélas s’use si l’on s’en sert trop souvent sans imagination, après 72 la veine se tarit, l’inspiration géniale s’assèche, qu’importe pierres qui roulent sur leur lancée amassent de la mousse ce qui permet de remplir les coffres-forts…  

             Voici les Who, les préférés de notre auteur, de 1964 à 1969 ils sont géniaux, toujours un train d’avance sur les autres, mais ce petit jeu est dangereux. Vous pousse à la surenchère. Nicolas estime que Tommy est pompier, Who’s next infantile, Quadrephonia un œuf avarié qui tombe à plat, le pire, la faute morale ne pas avoir arrêté le groupe à la mort de Keith Moon…

             Plus de vingt pages sur les Kinks, leur reconnaît de grandes qualités, dans les deux sens si j’ose dire, un côté dur, un côté subtil. Entre 1963 et 1970 c’est le summum, après ils n’existent plus. Niveau qualité sonore, cela s’entend. Vous commencez par comprendre la méthode Ungemouth, les Romains partageaient l’année en jours fastes, et en jours néfastes. Nicolas n’emploie pas la même période temporelle, les groupes ou les chanteurs sont bons trois, quatre, cinq, six ans, après l’inspiration n’est plus au rendez-vous, c’est la déche, la misère noire. Tenez prenons deux exemples : les Beatles, des chansonnettes, des fariboles pour midinettes, à leurs débuts. Ensuite l’extase : Rubber Soul et Revolver, deux chefs-d’œuvre absolus, après quoi l’on passe du petit n’importe quoi au grand n’importe quoi.  Je sens qu’il y a des fans qui renâclent.

             Pauvres fans, ils sont la preuve par neuf de la méthode Ungemuth, ne faut pas s’en prendre uniquement aux artistes, ils ont quelques excuses, la fatigue, les maisons de disque qui pressent le citron tant qu’il est bon, l’argent, la belle vie, les modes qui changent… nous l’admettons, mais Ungemuth dit chut : c’est cinquante-cinquante, les idoles ne sont pas les seules responsables, si elles sont incapables de se reprendre c’est de la faute des fans qui n’ont plus de jugeote, qui se précipitent sur les mauvaises galettes, qui en redemandent, ne se découragent qu’après plusieurs années de mauvais traitements, sont prêts à gober des œufs d’autruche coquille comprise.

             C’est toujours bien de se moquer des autres. Tenez pour le deuxième exemple, il est double, à savoir Phil Spector et Brian Wilson. Vous frétillez, vous connaissez, des idées toute fraîches, des arguments se pressent dans votre cervelet, notre Cat Zengler ne nous a-t-il pas régalés tout dernièrement de quelques chroniques consacrées à ces deux zigotos. Oui leurs débuts sont éblouissants et leurs fins des plus pathétiques. Je ne reviens pas sur leurs parcours. Simplement j’attire votre attention sur les différences de méthode, l’Ungemuthienne et la Cat zenglerienne. La première est sans appel. Elle sépare le bon grain de l’ivraie, elle tranche avec la rapidité de la guillotine. Clair et net, sans bavure. Le Cat ne se gêne pas pour affirmer que tel 33 est à côté de la plaque, et confirmer que le suivant n'est guère meilleur, mais l’est pas comme l’entomologiste qui dissèque un insecte entre deux plaquettes de verre dans son laboratoire aux murs blancs, le Zengler l’observe les bestioles dans leurs milieux naturels, il les aime, non il ne les demande pas en mariage, mais il éprouve de la sympathie, il suit leurs pérégrinations, il analyse les obstacles qu’elles rencontrent, dès qu’il trouve un témoignage en faveur ou en défaveur il le mentionne, farfouille dans les livres, il croise les contradictions, puis il passe en revue l’ensemble des enregistrements, il en découvre des nouveaux, des inédits, avec lui un dossier n’est jamais définitivement clos… L’a un gros défaut notre Cat Zengler, l’est définitivement du côté du rock’n’roll.

             Bien sûr il a tout comme Ungemuth écrit sur Lou Reed, Iggy et Bowie, mais ne s’intéresse pas qu’aux gros calibres, va farfouiller du côté des seconds (et même des troisièmes) couteaux, des inconnus, des derniers rangs, des oubliés, bref pas uniquement des stars.

             Ce qui est étonnant c’est qu’Ungemuth déclare que si le rock’n’roll n’est plus ce qu’il a été c’est parce qu’il ne produit plus de stars, de pointures égales à toutes celles que nous venons de passer en revue. Les projecteurs médiatiques ne se tournent plus volontiers vers les rockers, le public se détourne du rock vers d’autres musiques, n’empêche que dans Kr’tnt ! chaque semaine l’on peut découvrir les grognards tombés au champ d’honneur des décennies précédentes, mais aussi des figures ou des groupes qui explorent d’autres voies, z’ont leurs cohortes pas très nombreuses de passionnés qui les suivent ou les encouragent, ce ne sont pas des stars planétaires, ils creusent toutefois leur sillon avec ténacité et conviction.

             Ne restent plus que 80 pages pour explorer Heavy Metal, Progressive, Punk, Post Punk, l’Indie américain, la Pop anglaise, pas assez de place pour tout le monde, Ungemuth ne s’attarde pas, il condamne sans réserve, ceux qui arrivent trop tôt, ceux qui suivent trop tard, de toutes les manières, aucun n’aura ni l’aura ni le génie des grands ancêtres qu’il a méthodiquement saucissonnés dans les deux premiers tiers du livre.

             Finit en beauté, huit pages pour cinquante ans de rock français. Expéditif. Parfois il vaut mieux se taire.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 543 : KR'TNT : 543 :SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS / CIGARETTE ROLLING MACHINE / BLIND SUN / MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 543

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 02 / 2022

     

    SYL JOHNSON / KIM SALMON / THE HAWKS

    CIGARETTE ROLLING MACHINE /BLIND SUN

      MATHIAS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    ATTENTION !

    LIVRAISON 542 PARUE LE 15 / 02 / 2022

    LIVRAISON 543 PARAÎT CE 19 / 02 / 2022

    LIVRAISON 544 PARAÎTRA LE  05 / 03 / 2022 

    Syl n’en reste qu’un

     

    z17591dessinsylvester.gif

             Syl Johnson, l’un des géants de la scène de Chicago, vient de casser sa pipe en bois. Et comme tous les géants de la scène de Chicago, Syl Johnson vient du Mississippi, et plus précisément d’Holly Springs, d’où sont aussi originaires R.L. Burnside et Charlie Feathers. Syl a dix ans quand sa famille s’installe dans la capitale des abattoirs et de la pègre américaine. Il s’appelle encore Thompson et rencontre un certain Sam Maghett qui va devenir le fameux Magic Sam. Puis comme tous les géants de la scène de Chicago, il va faire ses débuts sur Federal, l’un des labels de Syd Nathan. C’est Syd qui dit à Syl : «Tu t’appelleras Johnson !». Il trouve que Johnson sonne mieux que Thompson.

    z17594dressed.jpg

             Il enregistre son premier album en 1968 sur un petit label de Chicago, Twinight Records. Fantastique album de r’n’b que ce Dresses Too Short ! Syl danse dans la rue en costard vert. Ça jerke dans les brancards dès le morceau titre, un Too Short admirablement roulé dans une farine de bassmatic. On se croirait chez Stax ! Alors le petit peuple va pouvoir danser, avec le popotin de «Different Strokes» et sa fantastique tenue de la tenure, puis avec le dripping de «Soul Drippin’» suivi d’un explosif «Ode To Soul Man» digne de San & Dave. La B n’est pas en reste, oh no no no, car «I’ll Take Those Skinny Legs» rivalise d’énergie avec la Soul de James Brown, c’est une vraie shoote de hot Soul, hot as hell et cool as fuck, comme dirait le ghetto man des Batignolles. Le pire est à venir avec «Sorry Bout Dat», nouveau shoot de hot Soul à la James Brown. Syl Johnson sort ici un funk de Soul sacrément fin, doté d’un aérodynamisme qui te laisse comme deux ronds de flan.

    z17595because.jpg

             Paru deux ans plus tard, Is It Because I’m Black est l’album politique de Syl Johnson. Dans le morceau titre, il se demande si c’est le dark brown of my skin qui pose un problème et il rappelle que Mama she works so hard to earn a penny. Et il lève le poing, comme John Carlos aux Jeux Olympiques pour clamer sa volonté d’exister - I wanna be somebody so bad - et il ajoute qu’il veut aussi un diamond ring as yours, une bague en diamant comme la tienne, et il exhorte le grand peuple noir à poursuivre la lutte - If we keep pushing on, we got to be a little further - il a raison, il faut continuer - We’re trying so hard/ To be somebody - Alors les Brothers et les Sisters se massent derrière Syl qui lance : «We can’t stop now/ We got to keep on/ Keep on !» Il revient à la politique en fin de B avec «I’m Talking Bout Freedom» et lance un appel à la liberté. Il boucle cet album superbe avec un «Right On» digne de James Brown - Ride on Sister ! - Nouvelle crise de colère avec «Concrete Reservation». Il y dénonce les ghettos - It’s just a bad situation - et les chœurs font : «In the ghetto !» Il enchaîne avec «Black Balloons», un solide balladif de très haut rang, il faut voir Syl swinguer ses balloons et ses afternoons. Par l’éclat de sa classe, il évoque d’autres géants de la Soul comme Spoon et Brook. On note aussi en A la présence d’une belle cover du «Come Together» des Beatles.

    z17596taste.jpg

             Avec Back For A Taste Of Your Love, Syl Johnson entame en 1973 sa période Hi Records sous la houlette de Willie Mitchell, à Memphis. Fais gaffe, cette série de quatre albums va semer le souk dans ta médina. Syl n’en reste qu’un ce sera celui-là, le Syl d’Hi. Rien qu’avec «Back For A Taste Of Your Love», Syl rafle la mise, car voilà un fabuleux shake d’Hi, du pur jus de Memphis Soul. Leroy, Teenie et Charles Hodges swinguent la meilleure Soul du temps d’avant et Syl chante au fruité de glotte, à l’accent perçant, mais c’est le smooth du groove qui lève des vagues sous l’épiderme. L’autre coup de génie de l’album ouvre le bal de la B et s’appelle «Feelin’ Frisky». Ce vieux coup de raw popotin rampe dans le jus de juke. Comme Al Green, Syl atteint là une sorte d’apothéose. La Soul conduit droit au plaisir des sens et étend son empire kurosawaïen. Encore un coup du sort avec un «I Hate I Walked Away», solidement beau - You got the right to be disgusting/ After what you trusted - Il sort aussi des fabuleux slowahs d’élongation bitumineuse du type «Wind Blow Her Back My Way» et «Anyway The Wind Blows». Pour conclure, on peut ajouter qu’avec «I’m Yours», Syl Johnson n’a rien à envier au gros popotin de Stax.    

    z17597diamond.jpg

             Pour Diamond In The Rough paru l’année suivante, Syl Johnson s’offre une vraie pochette de Soul Brother, le poitrail à l’air, en plein dans le feu de l’action. Il a des allures de superstar. Quatre puissantes énormités y guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «Let Yourself Go», où il t’invite à te laisser aller - Get on up ! - La deuxième arrive aussitôt après : «Don’t Do It». Imparable - Don’t do it/ Don’t break my heart - C’est le groove de Willie Mitchell et des frères Hodges, avec de fantastiques breaks descendants. Pur jus d’Hi. Il faut aller en B pour choper les deux autres, le morceau titre et «Music To My Ears». C’est de la raw Soul d’Hi, grattée au meilleur rave de studio, ce sont deux hits immémoriaux, high on time, sweet sweet music. Avec «Stuck In Chicago», ils vont chercher le boogie rock de Soul et Teenie Hodges gratouille dans l’ombre d’Hi, alors que les Memphis Horns nappent tout ceci de cuivre frais.     

    z17598total.jpg

             On peut dire quasiment la même chose de Total Explosion paru en 1975 : c’est un pur album d’Hi Sound et ce dès «Only Have Love». Ils sont tous là, les frères Hodges, Willie Mitchell et les Memphis Horns. Fameux fumet. Production de rêve. On a là tout ce dont on peut raisonnablement rêver. La fête se poursuit avec «Bustin’ Up Or Bustin’ Out», chef-d’œuvre de groove popotin hodgé jusqu’à l’oss de l’ass. C’est le paradigme du groove d’apanage, l’épandage des vieux adages. Il n’existe rien d’aussi jerky sur cette planète que ce shooooot de grooooove, avec un Syl qui souffle ses coups d’harp. On le voit d’ailleurs souffler au dos de la pochette. C’est en B que se trouve son hit le plus connu, la cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why - Il laisse ses syllabes s’envoler comme des bouffées de chaleur - Get my feet on the ground/ I don’t know why/ She treats me so baaaaaaahd - Nouvelle énormité avec «Bout To Make Me Leave Home», du basic de base d’Hi, modèle absolu de Soul inspirée. Syl allume bien la terrine de la Soul avec sa voix, c’est l’un des plus beaux mariages de l’histoire des Amériques. Ça frise l’inespérabilité des choses. Pouvait-on concevoir pareil miracle ? Non.    

    z17599uptown.jpg

             Fin d’Hi pour Syl en 1978 avec Uptown Shakedown. Malgré sa pochette fantastique, l’album est moins dense que les trois précédents, mais God, ça reste du big Syl. Il fait un peu de diskö-Soul avec «Mystery Lady» et revient au groove magique avec «Let’s Dance For Love». On ne peut parler ici que d’excellence. Il passe au sexe avec «You’re The Star Of The Show» - Sexy lady/ I like what you’re doin’ to me - et on tombe en B sur «Who’s Gonna Love You», un slow-groove joué à la trompette dans la nuit urbaine. Groove élégantissime. Il propose ensuite un «Otis Redding Medley», avec du Fa Fa Fa FA et du Respect. Il enfile les hits d’Otis comme des perles, mais tout n’est pas du même niveau. Il commet cependant l’erreur fatale : l’impasse sur «Try A Little Tenderness».

    z17600bluesonme.jpg

             Puis on passe à autre chose. Syl va revenir au blues et errer d’un label à l’autre. Brings Out The Blues In Me paraît sur Shama Records en 1980, avec une belle pochette. Syl s’y dresse en Soul Brother, toujours le poitrail à l’air. Le morceau titre qui fait l’ouverture de balda surprend par ses qualités organiques. Ça grouille de vie, comme dans le swamp. C’est pourtant enregistré à Chicago. Le son palpite littéralement, Syl Johnson nous sort là l’un de ces grooves organiques dont il partage le secret avec Tony Joe White. Mais c’est un album de blues et la suite de l’A se perd un peu dans le classical Chicago blues, avec notamment un tribute à Magic Sam intitulé «Get My Eyes On You». On se réveille en B avec «Sock It To Me», fantastique shoot de funk, les guitares dégorgent comme des coquillages dans la bassline, Syl renoue avec sa légendaire fierté rectangulaire, il fait fi des lois et des règlements, sock it to me babe !   

    z17601missfine.jpg

             Ms Fine Brown Frame paraît deux ans plus tard sur le bien nommé Erect Records. Pas de pochette plus putassière que celle-ci, avec sa louve black en monokini blanc, mais comme c’est Syl, on comprend. Syl aime les femmes, alors il paraît logique d’en voir une envahir la pochette. Mais l’album ne casse pas des briques. Il fait un peu de diskö, comme tout le monde à l’époque, mais il le fait avec une telle classe que son «Keep On Loving Me» passe comme une lettre à la poste. C’est un album classique de Soul/diskö-funk de blues comme il en paraissait des milliers dans les années quatre-vingt. On ne peut pas en dire plus que ce qu’on en dit.       

    z17613suicide.jpg

             Par contre, Suicide Blues réserve quelques bonnes surprises, comme ce violent boogie intitulé «Before You Accuse Me». Son effarante présence évoque bien sûr celle de Lazy Lester. Il revient au vieux «Take Me To The River» d’Al Green en B. Oh the vox ! Quel fabuleux shooter de r’n’b. Il enchaîne avec un «The Blues In Me» qui sonne un peu comme «I Hear You Knocking». C’est un boogie fin et délicat qu’il monte au chat perché. Aw my Gawd, what a singer ! On ne se lasse pas d’écouter Syl chanter. Il tape dans James Brown pour «Sock It To Me» et revient au blues pour «Got To Make A Change». Il chante son blues avec une classe affolante. Il est l’un des plus far-out du genre. Il finit avec ce diable de heavy blues intitulé «Crazy Man». Sacrément emblématique ! Syl pue la classe à dix kilomètres à la ronde. N’oublions pas qu’il est avant tout guitariste et on le voit faire des siennes dans le morceau titre. Il dit qu’il veut se suicider, avec cette voix de vibrating tension.

    z17602inthegame.jpg

             Avec Back In The Game, Syl Johnson remet sa couronne de groover en jeu et descend retrouver la bande d’Hi à Memphis. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep d’Hi. Groove insubmersible. Tous les cuts de l’album sont énormes, à commencer par l’infectueux «I Can’t Stop» joué aux accords de r’n’b, puis le violent boogie de «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, cathartic shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, et le solo vient télescoper de plein fouet une embrouille de funk. Ils reviennent forcément sur «Take Me To The River» - I don’t know why/ I love her like I do - Cette version excitera encore les gens dans trois mille ans - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - Sa fille Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water» et l’orgue nous noie tout ça dans un bain de jouvence. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

    z17603bridge.jpg

             Tiens encore un album fantastique avec Bridge To Legacy paru sur le label d’Austin Antone’s Records en 1998. Sur la pochette, Syl joue de la guitare assis sur une vieille chaise. Ça fonctionne comme sur l’album précédent : on sent la violence du groove dès l’intro de «Who’s Still In Love». Syl soigne sa pêche, son boogie sent le fil blanc, mais il le joue avec le petit quelque chose en plus qui fait toute la différence, comme Lazy Lester. On retrouve sa fille Syleena sur «Half A Love». Encore un hit ! Syleena s’y fait reine du groove sexy. Elle chante d’une voix tremblante de désir. Syl revient dessus et ça donne un duo magique et compressé à la fois. On s’effare aussi de «Midnight Woman», aussi heavy que translucide. Syl est un démon du groove, il joue la carte du boogie blues à l’écrasée. Son groove de blues reste complètement à part. Il y a quelque chose de très fascinant dans le style de cet homme. Il rejoue la carte du groove transversal avec «I Don’t Know Why». C’est noyé de violons et de guitares électriques, et même foudroyant d’électricité. Ce mec a un son véritablement moderne. Il sort un groove subtil et beau comme une tempête magnétique. On se régalera aussi des chœurs qu’on entend dans «Let’s Get It On Again», nouveau slab de heavy blues spectaculaire, oh yeah, ses balladifs accrochent au meilleur niveau d’interférence itérative. C’est bardé de chœurs de rêve et ça se vautre dans une perfection parfaitement indécente. Quelle ambiance ! On voit rarement passer des disques aussi indispensables. Syl reste dans l’excellence du balladif avec «They Can’t See Your Good Side», c’est traité à l’écho fatal, les filles sont toujours là, sur le good ride. Effarant ! Syl crée son monde. Il est l’absolute foreigner. Il termine avec un nouveau coup de génie intitulé «Sexy Wayz», encore un hit de juke, furieux et solide. Syl chante son sexy wayz avec une hargne à peine croyable - I can’t sleep baby/ When I see you dance/ You move so sexy - Syl devient dingue. Quelle pogne ! 

    z17604hands.jpg

             Au risque de radoter, voilà encore un album énorme : Hands Of Time. Syl Johnson finira par nous rendre tous gagas. Avec «Tell Me In The Morning», il joue la carte du mec qui trépigne dès le matin. Syl se comporte comme un dieu du stade - Tell me tomorrow - Il joue un double jeu, à la fois groover du delta et Mister Dynamite limoneux. Il bat tous les records de classe rampante. Syl est le maître incontestable des grooves interlopes. Il se montre en permanence effarant de classe, mais pas n’importe classe, on parle ici de classe totémique. Oh il faut aussi écouter ce «Superwoman» amené au funk de Mister Dynamite, avec une vraie attaque en règle. En plus de tout le reste, Syl est un sale casseur de baraque. Il nous fait même le coup du solo ravagé. Encore plus énorme : «You’re Number One». Syl l’explose en plein vol. Voilà encore un hit de juke, du pur jus de pétaudière, une énormité embarquée au groove de reins de je vais et je viens et pour calmer le jeu, il nous fait le coup du froti-frota de luxe avec «Listen To Me Closely». Il allume son slowah à la pure sauvagerie primitive - I really miss you - Ah on le croit sur parole ! N’allez surtout vous amuser à prendre Syl à la légère, ce serait une grave erreur. Puisqu’on est dans les énormités, on peut aussi évoquer «Touch Of Your Love», joué au meilleur funk de basse de l’univers. Syl s’y vautre. On frise encore le stroke en découvrant «Funky Situation». Syl gère ça comme il peut, il s’aperçoit que sa poule est partie, there was no one inside, sur fond de groove funk mécanique.  

    z17605chicago.jpg

             Tiens le voilà sur Delmark pour Talkin’ Bout Chicago, un album paru en 1999. Et quel album ! On croit que c’est du Chicago blues, mais non, Syl vient du Sud, il amène son vibré de glotte et un style de guitare qui lui est propre. Il s’embarque avec «Cheryl» dans un fantastique slow-boogie blues, une vraie merveille, jouée à la marge, avec des tiguiliguilis de guitare d’une rare subtilité. Il chante toujours avec autant de feeling. La fantastique Theresa Davis vient duetter avec lui sur «Sweet Dynamite». Comme il a toujours su le faire, Syl crée les conditions du hit. Quand il fait du boogie blues de Chicago, comme c’est le cas avec le morceau titre, ça devient absolument extraordinaire. «Different Strokes» sonne comme un coup de génie. Syl démonte la gueule du groove. Il le plie à sa volonté. Il dispose de cette classe qu’ont perdu les bluesmen de Chicago. «I’m Back Into You» reste du groove de très haut niveau. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Trade Secret», un coup de slow boogie blues. Il le prend avec un brio inégalable. C’est un véritable chef d’œuvre de chant lent. Syl a du génie à revendre - I’m gonna pick another fight - C’est le chanteur idéal - Hush Hush Honey I can - et il enfonce son clou - Need a trade secret - Ça sonne comme un vieux hit de juke inconnu. Il sort encore de l’ordinaire avec «All Night Long», un vieux coup de heavy blues. Syl est un diable, un authentique géant de la Soul - Help me/ Squeeze me tight ! - Fabuleux Syl Johnson ! On le voit tout au long de cet album infernal, Syl ne lâche jamais sa vieille rampe. Il est captivant de bout en bout. Dans «Get Free Call Me», les filles font des ravages. Elles gueulent leurs chœurs de get free par-dessus les toits et elles explosent la notion même de bonheur conjugal. Sur cet album, tout est sur-saturé de feeling et d’inspiration. Ça peut donner la nausée.

    z17606togrthr.jpg

             Paru sur Shama Records, We Do It Together est une compile qui vaut le détour. Oui, car c’est du double concentré de Syl Johnson. «Kiss By Kiss» sonne comme le meilleur funk de Soul qu’on ait entendu ici-bas, avec cette admirable dégringolade de basse dans le dos de Syl. Il tape dans le «Get Ready» des Tempts et enchaîne avec un autre hit Tempty, «The Way You Do The Things You Do», fantastique shoot de raw popotin. Syl le swingue dans le gras du bide et ça tourne au raw définitif. Il passe en B à la Soul de dance avec «Annie Got Hot Pants Power», hallucinante giclée de sexy Soul avec des femmes qui jouissent derrière des micros. Retour au sexe plus loin avec «Hot Pants Lady», fantastique partie d’orgasmes féminins sur fond de funky strut - Hey babe I like your teeth ! - et il nous fait le coup du lapin avec «Your Lovin’ Is Good For Me», shoot de Soul de descente extraordinaire - It keeps going strong/ It’s good for me - Oui, il la remercie pour son amour - You pick me up when I’m down !

             Le festin discographique de Syl Johnson ne s’arrête pas là, on y reviendra probablement.

    Singé : Cazengler, cire Johnson

    Syl Johnson. Disparu le 6 février 2022

    Syl Johnson. Dresses Too Short. Twinight Records 1968

    Syl Johnson. Is It Because I’m Black. Twinight Records 1970  

    Syl Johnson. Back For A Taste Of Your Love. Hi Records 1973        

    Syl Johnson. Diamond In The Rough. Hi Records 1974      

    Syl Johnson. Total Explosion. Hi Records 1975             

    Syl Johnson. Uptown Shakedown. Hi Records 1978

    Syl Johnson. Brings Out The Blues In Me. Shama Records 1980

    Syl Johnson. Ms Fine Brown Frame. Erect Records 1982    

    Syl Johnson. Suicide Blues. Isabel Records 1983

    Syl Johnson. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Syl Johnson. Bridge To Legacy. Antone’s Records 1998  

    Syl Johnson. Hands Of Time. Hep Me Records 1999 

    Syl Johnson. Talkin’ Bout Chicago. Delmark Records 1999 

    Syl Johnson. We Do It Together. Shama Records 2017

     

     

     L’avenir du rock

    - Kim est Salmon bon (Part Four)

     

    Finalement, l’avenir du rock est ravi d’assister à ce séminaire des avenirs. Il n’était pas très chaud au début, puis il s’est ravisé, supputant que la compagnie de ses collègues lui serait agréable. Oh ils sont tous là, l’avenir de l’humanité (toujours aussi con), l’avenir de l’art (ce gros veinard), l’avenir de l’homme (toujours aussi séduisante) et des avenirs plus techniques avec lesquels l’avenir du rock ne se sent guère d’affinités : l’avenir de l’Euro, l’avenir de la gauche, l’avenir du numérique, l’avenir de l’industrie agro-alimentaire, et tout un tas d’autres futurologues invités à prendre la parole à la tribune. Tiens d’ailleurs, voilà que l’avenir de la pensée libre monte à la tribune et déclare :

             — J’ai l’av’nir qui s’dilate et la foi qu’est pas droite !

             Et la foule reprend en chœur :

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque ! Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Ravis, les convives applaudissent chaleureusement. La règle au séminaire des avenirs est de dire tout ce qu’on a sur la patate. Puis c’est au tour de l’avenir des petites sœurs des pauvres de prendre la parole :

             — J’ai l’av’nir bien trop mou et l’futur qu’est trop dur !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’êt’ toujours patraque !

             Le public lui fait une ovation et lui jette des pièces de monnaie qu’il ramasse dans un seau prévu à cet effet. Les manifestations sauvages de générosité sont fréquentes dans ce type d’événement.

             Arrive le tour de l’avenir des rillettes du Mans de s’exprimer devant le parterre collégial :

             — J’ai l’av’nir qui s’démanche et mes pots bien trop gros !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque ! Bravo ! Bravo !, font les avenirs qui exultent.

             Aussitôt après, l’avenir des échelles de Richter arrive d’un pas athlétique à la tribune et déclare avec un grand sourire :

             — J’ai l’av’nir qui pylore et l’futur qui s’endort !

             — Ah, bon Dieu qu’c’est embêtant/ D’être toujours patraque !

             Une salve d’applaudissements salue l’allocution. Une petite assistante binoclarde s’approche de l’avenir du rock et lui chuchote à l’oreille :

             — C’est votre tour, avenir du rock. Veuillez vous rendre à la tribune.

             L’avenir du rock s’exécute et s’installe derrière le pupitre. Il se verse un verre d’eau minérale et lève les deux bras au ciel :

             — J’ai l’av’nir qui Salmonne et l’futur qu’est tout comme !

     

    z17592dessinscientist.gif

             Il a raison d’exulter l’avenir du rock. Kim Salmon n’a jamais autant salmonné. Surtout depuis qu’il a réactivé les Scientists. Tony Thewlis, Boris Sujdovic, Leanne Cowie, ils sont tous là, tu ouvres le gatefold et tu les retrouves grandeur nature, avec un Kim Salmon au premier plan, terrifiant de véracité, l’œil quasi-mauvais sous la broussaille de sa tignasse. Ah quelle allure ils ont tous les quatre ! Voilà ce qu’on appelle un vrai groupe de rock. Le temps n’a aucune prise sur eux et l’album sort sur In The Red, alors elle est pas belle la vie ? On pourrait se contenter de ça, mais il se trouve qu’en plus l’album est bon, et même plus que bon. Ce sera la seule bonne nouvelle de la journée.

    z17612scientists.jpg

             Avec ces groupes qui ont un passé chargé, c’est toujours un peu la même histoire. On pense que la messe est dite et qu’ils n’ont plus grand chose de neuf à nous apprendre. Mais ce serait faire insulte à l’intelligence de Kim Salmon. C’est justement parce que c’est difficile de redémarrer en côte qu’il relève le défi avec un nouvel album, et c’est là où il fait la différence : il en profite pour se réinventer. «Outsider» ouvre le balda et tout est là : la voix, la fuzz et cette épouvantable niaque, cette façon de nous servir le meilleur pâté de foi. Here it comes ! The Scientistic beat ! Quasiment groové sous le boisseau de la fuzz et Tony Thewlise savamment. Il y a autant de modernité chez ces mecs-là que chez Iggy. La fête se poursuit avec un autre coup de génie : «Make It Go Away», encore plus rampant, ça devient stoogy mais au scientistic way, ça rampe de manière totalement indécente avec du piano dans le bourbier du lard bourbeux. Le troisième coup de génie ouvre le bal de la B : «The Science Of Suave». Tony T l’embarque au riff rageur, puis il joue sa dentelle d’acid freak-out au long cours et quand Kim fait Yeah !, c’est de façon bien racée, bien wild, bien dans l’air du temps qu’on aime. Les autres cuts valent bien sûr le détour. Avec «Naysayer», le cat Kim décide de rôtir en enfer, il semble donner de la profondeur aux flammes, les Scientists font du tribal psycho psyché dans l’eau noire d’excelsior, puis ils passent au funk des catacombes avec «Safe», une façon comme une autre d’empiéter sur les plate-bandes du JSBX. C’mon ! Ils restent dans les catacombes pour «Magic Pants», du gaga qui a le goût d’une purée noire empoisonnée. Avec cet album, le cat Kim n’en finit plus d’échapper aux règles et aux attentes. Il fait du lard moderne, c’est important de le savoir et encore plus important de s’en montrer digne. Encore un chef-d’œuvre de rock moderne avec «I Wasn’t Good At Picking Friends». Tony T y coule un bronze fabuleusement liquide que ponctuent des chœurs épanouis. Ses solos sont des merveilles intentionnelles. Nos vaillants Scientists frisent ensuite le Velvet avec le pesant «Moth Eaten Velvet». Kim Salmon le chante avec des accents de Kevin Ayers. En fait, cet album n’est qu’une série d’idées de cuts qui se mettent à fonctionner. Cette facilité à œuvrer ne court pas les rues. Leanne Cowie bat le jive de jazz de «Dissonance» - Meet my approval - et Kim Salmon le finit à l’oh yeah baby baby Oooh !

    z17608vive83.jpg

             Dans un article frétillant, Gerry Ranson annonce la parution du brand new album from Aussie post-punk contortionnists The Scientists. Bon, l’article est mal barré, parce que les Scientists n’ont jamais fait de post-punk. Ranson voulait sans doute dire que le groupe est arrivé aussitôt après le punk, mais il faut faire gaffe quand on utilise ce genre d’étiquette, surtout celle-ci, qui comme l’étiquette new wave fait un peu office de repoussoir. Gildas qui ne supportait pas ce son l’appelait ‘la poste’. Dans son élan, Ranson rappelle l’histoire du groupe Aussie originaire de Perth et qui débarque à Londres en 1984, avec dans ses bagages les Stooges, le Gun Club, les Cramps et Captain Beefheart. Après le split en 87, nous dit Ranson, Salmon monte les Surrealists et joue avec Beasts Of Bourbon. Ça s’appelle un parcours sans faute.

    z17607scientists.jpg

             Comme Kim avait annoncé qu’il n’y aurait plus d’albums des Scientists dans le futur, Negativy arrive comme une bonne surprise. Au moment de la reformation, ils enregistraient des singles, alors Salmon a fini par décider de faire un album, tant qu’à faire - Hence us going back on our word and recording that dreaded latter-day album - Eh oui, ce n’est pas évident de faire du latter-day. Kim Salmon avoue qu’il espère pouvoir continuer à tourner avec le groupe. En attendant la fin de Pandemic, il fait du solo stuff down under. Il évoque comme tout le monde les confinements et avoue faire a lot of paintings. Il fait même des successful exhibitions. Il avoue aussi avoir investi les subventions pandémicales du Government dans un album d’experimental improvisation qui s’appelle OK Commissioner. En fait il a des tas de projets liés à l’isolement, comme ce show multimédia crypté qui s’appelle Haunted Grooves, dédié à tous les gens avec lesquels il a bossé et qui ont cassé leur pipe en bois - Of which there have been way too many - Il voit ce show comme une thérapie et il s’empresse d’ajouter : «Mais c’est bien plus léger que ne pourraient l’imaginer les gens ! J’ai beaucoup d’histoires marrantes à propos de ces gens qui devraient faire beaucoup rire.» Oui car Kim sera dada jusqu’au bout des ongles ou ne sera pas, comme dirait Malraux.

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Scientists. Negativity. In The Red Recordings 2021

    Gerry Ranson : Profiled - The Scientists. Vive Le Rock # 83 - 2021

     

    Inside the goldmine - Hawks see more

     

             La première fois qu’il rencontra Nox, ce fut dans la salle d’accueil d’un centre de formation. Comme Nox, il était arrivé en avance, ce que font tous les banlieusards qui anticipent les imprévus. Nox n’avait pas l’air de rouler sur l’or. Sous son parka, il portait un survêtement, comme s’il sortait d’une cité. Il ne leva pas le nez du livre qu’il lisait. Sans doute était-il lui aussi un peu tendu. Candidats à la reconversion professionnelle, Nox, lui et douze autres personnes allaient passer un an en stage de formation longue durée. Objectif : obtenir une qualification permettant de décrocher un job de webmaster dans une grosse boîte, un marché alors en plein boum. Nox et lui créchaient en banlieue Ouest, il leur arrivait donc de prendre le même RER. Ils finirent par devenir potes. Comme Nox connaissait pas mal de petites gonzesses délurées, ils passèrent ensemble de charmantes soirées. Nox revenait de loin, car il venait de passer quelques années au RMI, d’où le survêtement : pas de blé, pas d’habits. L’année de formation s’acheva avec un examen. Ceux qui sont passés par là savent qu’ensuite commence le plus difficile : la prospection. C’est quitte ou double. Double, on décroche un job. Quitte, retour au chômdu avec un éventail de possibilités qui se réduit de manière drastique. Il n’eut plus de nouvelles de Nox pendant un an ou deux. Chacun vivait sa vie. En région parisienne on perd facilement les gens de vue. Il existe une chance sur un million de croiser une connaissance dans la rue, et curieusement c’est ce qui se produisit, rue Saint-Dominique. Il faillit ne pas reconnaître Nox qui déboulait sapé comme un ministre.

             — C’est quoi ce costard de frimeur ?

             — Ha ha ha, c’est ma tenue de travail. Je bosse dans les ministères, je supervise des tas de trucs ! On m’appelle CyberNox. Tiens regarde...

             Il sortit de la poche intérieure de son veston une sorte de petite télécommande. Il cliqua. Sa tête se mit à vibrer et à changer de couleur, il émit une sorte de sifflement et ses yeux se transformèrent en deux petits écrans dans lesquels défilaient des symboles cryptés, comme on en voit sur les machines à sous. D’une voix métallique, il onomatopait du code : Nox Nox Nox, tilililili, Nox Nox tilili !

    z17594dessinhawks.gif

             Pendant que Nox fait sa démo de CyberNox, les Hawks font un bel oxymore : on trouve dans le même groupe un Kuss fraîchement émoulu de TV Eye et un Stephen Duffy fraîchement émoulu de l’early Duran Duran. Formé en 1979, le groupe va durer deux ans avant d’imploser. Mais l’album récemment exhumé a un cachet particulier - Unforgettable guitar playing, inventive rhythm section, Duffy’s enigmatic words and a killer chorus - Mark Chadderton définit bien le style des Hawks. Et Duffy ajoute : «To me, that was the whole thing, the music, the look.» Oui, car les Five Believers ont du look à revendre. Au début, ils s’appellent Obviously Five Believers, mais on leur dit que le nom est trop long. Puis ils veulent s’appeler The Subterraneans, mais Nick Kent leur barbote le nom. Comme ils ont une chanson qui s’appelle «Hawks Don’t Share», ils décident de s’appeler Hawks Don’t Share et ça devient the Subterranean Hawks Obviously Don’t Share Believers. On connaît le résultat final. Duffy dit que The Hawks était le pire nom de groupe - Unless you’re backing Dylan in 1966 ! - Ils enregistrent des cuts qui ne sortent pas. Jusqu’à la fin de sa vie, Kuss va insister pour que ça sorte.

    syl johnson,kim salmon,mathias richard,rockambolesquesep21,lind sun,cigarette rolling machine

             Il a eu raison d’insister. L’album paraît enfin sous le nom d’Obviously 5 Believers. On sent dans l’«All The Sad Young Men» d’ouverture de balda une volonté de bien sonner et un petit blondinet du nom de Simon Colley signe le bassmatic. C’est d’ailleurs lui qui va voler le show sur l’ensemble de l’album. Il est assis au fond à gauche de l’illusse. Quant à Stephen Duffy, au premier plan à gauche, il chante à l’empruntée de Birmingham et Kuss passe dans «Aztec Moon» l’un de ces solos aériens dont il va se faire une spécialité. Kuss est assis au premier plan, à droite. Tous les cuts sont intéressants, comme encore ce «Big Store», un up-tempo bien tempéré par le bassmatic de Simon Colley. Kuss y joue au long cours, il remplit the biggest store in town d’éclats psychédéliques, Kuss et Coll font tout le boulot. Quelle densité ! Ce démon de Coll est partout dans le son. Son bassmatic monte au devant du mix dans «What Can I Give», et Kuss reste bien sûr en embuscade. On entend encore Coll tourbillonner dans «A Sense Of Ending», il est de tous les instants, sur tous les coups, il pétarade dans son coin et Kuss fidèle à lui-même claque encore l’un de ces chorus dont il a le secret. Le coup de génie de l’album se trouve en B : «Something Soon», un clin d’œil à Dylan, comme l’indique d’ailleurs le titre de l’album. On a même les coups d’harmo. Cette équipe de surdoués embarque ce fantastique up-tempo au firmament de la pop dylanesque. C’est le batteur David Twist qui souffle dans l’harp. On a encore de la belle pop anglaise avec «Bullfighter» et en fond de toile, Coll multiplie à l’infini les triplettes de Belleville, il attise le brasier pop. On écoute cet album pour Kuss, bien sûr, mais c’est Coll la star. Il nous fait le coup du walking bass dans «Jazz Club». S’ensuit un «Serenade» plus classique, claqué au riff de Kuss, mais avec un Coll qui gronde comme le dragon de Merlin sous la surface du son. Quelle équipe ! Il faut avoir vu ça si on ne veut pas mourir idiot : Kuss gratte son funk pendant que Coll fait son Bootsy à contre-courant. Ces mecs sont beaucoup trop doués.

    z17611recordcollector.jpg

             Dans Record Collector, Patrick Wray interviewe Stephen Duffy qui est une petite superstar underground, comme l’était aussi Kuss. Il raconte son enfance, le White Album qu’on écoute en famille, le père qui apprend la guitare à l’aîné Nick qui ensuite l’apprend à Stephen et puis voilà qu’arrive le punk et Stephen joue tout de suite dans des groupes - That was when I switched to bass and played in punk bands - Il arrive au Art College et rencontre John Taylor. Ils forment Duran Duran. Au bout de six mois, Stephen quitte les Duran pour aller bricoler avec les mecs de TV Eye qui comme leur nom l’indique étaient des fans des Stooges. Il emmène ses chansons («Aztec Moon» et «Big Store») et Simon Colley avec lui pour aller former les Hawks avec Kuss et David Twist - David Twist was the ambitious one - Puis il évoque Kuss et son alcoolisme qui commençait déjà à faire pas mal de ravages dans le groupe. Quand en 2019, Kuss retrouve Stephen dans un club de Birmingham, il fout la pression pour que l’album des Hawks sorte enfin : «When are you going to put the Hawks tapes out?», puisque c’est Stephen qui les possède. Il le prend au mot, mais Kuss casse sa pipe en bois en plein fucking Pandemic. Il ne pourra donc pas écouter cet album qu’il appelait de ses vœux. Stephen précise que Kuss n’est pas mort à cause de fucking Pandemic - But it was because of the isolation that he just kind of dropped off - Si le groupe a disparu c’est nous dit Stephen parce qu’ils n’avaient ni contrat ni manager. Ils en étaient exactement au même point qu’Echo & The Bunnymen et les Teardrop Explodes qui eux ont eu plus de chance. Quand il monte The Lilac Time, Stephen décroche tout de suite un contrat chez WEA. 

    z17610vive85.jpg

             Au même moment, Mark Chadderton raconte sensiblement la même histoire dans Vive Le Rock, mais il apporte ici et là des petites précisions qui valent leur pesant d’or du Rhin. Exemple : personne ne se demande ce qu’est devenu David Twist. On le croyait à Saint-Tropez, pas du tout : il joue dans les excellents Black Bombers, nous dit Chadderton. Twist explique qu’il connaissait John Taylor depuis l’âge de 11 ans, qu’ils étaient ensemble à l’Art college, qu’ils admiraient les TV Eye guys et qu’ils montèrent ensemble un groupe nommé DADA. Twist jouait aussi de la batterie pour les Prefects. Quand le chanteur de TV Eye s’est barré, c’est Twist qui demanda à Stephen Duffy de le remplacer. Voilà pourquoi on l’accuse d’avoir brisé l’early Duran Duran.

    Signé : Cazengler, la lowk

    The Hawks. Obviously 5 Believers. Seventeen Records 2021

    Mark Chadderton : Brum’s Babylon revisited. Vive Le Rock # 86 - 2021

    Patrick Wray : Let us pray. Record Collector # 523 - October 2021

    *

    En ce mois des fièvres Cigarette Rolling Machine vient de sortir un disque. Groupe inconnu au bataillon, me suis-je dis. Une machine qui doit rockin’ and rollin’ à mort ai-je supposé. Marx a décrété que si l’on veut savoir le goût de la pomme il suffit de la goûter. J’avoue que les deux premières minutes de l’album Hysteria sont un peu déstabilisantes, ces espèces de craquements inaudibles ne m’ont guère convaincu, j’allais abandonner lorsque mon œil a été attiré par la pochette du premier opus du groupe. Une version psychédélique du célèbre tableau La mort de Marat de David. Tiens un truc marrant, avec ses cheveux violets l’a un aspect glam des mieux réussis. J’ai regardé le titre de l’opus,

    SOBRE A MUERTE

    CIGARETTE ROLLING MACHINE

    ( Juin 2020 )

    syl johnson,kim salmon,bcigarette rollin' machine,lind sun,mathias richard,rockambolesquesep21

    Ces gars-là ont de la suite dans les idées, avant la folie, la mort, s’intéressent à des problématiques un peu extrêmes. Une notule de quatre lignes m’apprend que les morceaux sont à écouter comme un commentaire au livre Au sujet de la mort : Réflexions et conclusions sur les dernières choses de Schopenhauer. Donc après Platon, Schopenhauer, serions-nous en train d’entamer une série rock philosophique. Certes Schopenhauer est moins connu que son illustre devancier. A la fin du dix-neuvième siècle son aura fut immense, son pessimisme radical influença des générations entières. Aujourd’hui on ne le lit guère. Il reste tout de même le philosophe préféré de Molossito et Molossa, n’a-t-il pas écrit ‘’S’il n’y avait pas de chiens, je n’aimerais pas vivre’’. Nietzsche lui doit beaucoup. Ce second couteau de Freud aussi. Une myriade de romanciers et de poëtes se sont intéressés à lui, nous ne citerons par chez nous que Maupassant, et Jules Laforgue. Mon maître Pham Cong Thien professait une grande admiration pour Schopenhauer qui à l’âge de vingt-quatre ans possédait et maîtrisait déjà son propre système. N’a fait que le dérouler méthodiquement par la suite. 

    Le groupe n’est pas disert quant à sa composition, nous en reparlons dans notre analyse du deuxième morceau.

    Preambulo : notes de piano et clapotement régulier de moteur diesel, le piano (ou synthé), s’arrête mais le diésel continue de fonctionner tout seul encore quelques secondes, le morceau ne dépasse guère une minute. Faut-il interpréter la partie pianotée comme l’expression des émotions (enthousiasmes, passions, ennuis, souffrances, désarrois…) que l’individu ressent tout au long de son existence. Lorsque nous disparaissons le diésel qui continue à fonctionner sans nous serait alors la manifestation du vouloir-vivre qui selon Schopenhauer est le moteur imperturbable du déploiement de ce que l’on pourrait appeler la présence du monde. Lequel ne se soucie pas de nous.

    Peace karma : une ligne de texte nous apprend que pour ce morceau Cigarette Rollin Machine s’est inspiré d’Anjo Gabriel : O Culto Secreto do Anjo Gabriel, je suis dans l’expectative, je l’avoue humblement l’Ange Gabriel ne s’est jamais soucié de moi – il aurait dû – je ne possède pas son numéro de portable, une seule solution, le net, je tape l’intitulé et terrible surprise, je m’attendais à de longues heures de recherches fastidieuses sur la toile, la première indication que me fournit internet, est son lieu de résidence. En plus je connais, j’y vais souvent, sur Bandcamp, clic je tombe sur un groupe nommé Anjo Gabriel, avec photo, leurs identités, et leur logement terrestre : Recifé, au Brésil. Quant à l’inspiration elle est évidente, z’ont un morceau intitulé Peace Karma, basé sur le même riff que celui que nous nous préparons à écouter, pour la petite histoire je préfère l’interprétation de la Machine qui roule les cigarettes. Sont-ce les mêmes, certains membres participent-ils aux deux groupes, le mystère reste entier.

    Reste à voir ce que cette notion de karma vient faire chez notre philosophe allemand admirateur de Kant et qui fut en relation avec Goethe.   La liaison est plus facile à faire que l’on ne s’y attendrait, il existe des relations évidentes entre la pensée de notre philosophe et les textes sacrés et premiers de l’Inde : les Upanishdads, ainsi il n’hésite point à emprunter le terme Maya ( = illusion ) pour qualifier notre croyance en notre rationalité, nous pensons pouvoir expliquer notre propre implantation dans le monde par nos analyses rationnelles, foutaises, tout cela n’est qu’illusion, la seule vérité c’est la force incoercible du vouloir être qui nous traverse et nous force à être et dont la plupart d’entre nous n’ont aucune conscience. Platon affirmait que la seule réalité était les Idées, pour Schopenhauer s’il existe une réalité supérieure c’est le vouloir-vivre. Schopenhauer s’est toujours senti proche de Platon et d’Aristote. Pour lui le moteur immobile qui met en branle l’univers porte le nom de vouloir-vivre.

    Le karma est souvent employé par chez nous avec le sens de destin. Il est cela en le sens où l’ensemble de nos actes, passés, présents, futurs représente notre destin, mais nous pouvons dans les instants- mêmes où nous les accomplissons influer sur eux de telle manière que lorsque après notre mort nous reviendrons dans le monde des vivants, nous pourrons accéder à une conscience de notre présence au monde qui nous permettra de nous élever jusqu’à atteindre au cours de nos retour le point de détachement et d’annulation de toute illusion. Reprenez souffle, écoutez le Nevermind de Nirvana.

    Comment comprendre le titre Peace Karma, puisque le thème de Sobre a morte est la mort, la paix karmique est-il le moment (Instant Karma, disait Lennon) où l’esprit parvient au bout de la chaîne de toutes ses incorporations pour connaître l’instant nirvanique ou simplement une réflexion sur le fait de mourir au bout d’une existence humaine. Il est sûr que lorsque nous mourons nous nous détachons de nous-mêmes et sommes en quelque sorte en paix avec nous-mêmes.

    Quelques notes élastiques sur une rythmique un peu jazz, assez joyeuse, comme si la musique faisait de la gymnastique, celle des gymnosophistes, et là-dessus vient se superposer un fuzz de guitare à faire péter les fuzzibles de la joie. Pas serein, enjoué. A l’entendre l’on se dit que mourir est un truc agréable, l’on a presque envie de se passer l’arme à gauche illico presto et de se laisser emporter par cette farandole pas du tout macabre, la batterie ralentit, le synthé sautille moins légèrement, se dirige-t-on vers une désagréable agonie, pas du tout l’ensemble reste allègre.

    Joint of life : les vieux rockers, les jeunes aussi, ne pourront s’empêcher de penser à  Rock the joint de Bill Haley d’autant plus que le morceau est accompagné d’une étrange confidence : ‘’ Un jour moi et mes amis avons créé un bec géant et l’avons appelé bec de la vie. C’est tout. ’’ Genre, ne cherchez pas plus loin. Ce qui ne nous empêche pas de nous remémorer la corne d’abondance que Zeus a arrachée à la chèvre Amalthée… De cette corne suintait l’ambroisie super-confiture qui vous conférait l’immortalité. D’ailleurs ne sommes-nous pas immortels tant que nous sommes vivants. Groove tranquillou sur lequel se surajoute une guitare qui ronronne joliment, pas vraiment l’horreur de la mort, l’on se dirige sans se presser vers on ne sait où, peut-être une côte à gravir car le son monte, le mec à la guitare nous régale, prend son pied, nous aussi, sympathique et presque pépère, un petit parfum impro hippie à la Grateful Dead, nom de circonstance, pas du tout désagréable, un lézard qui se déplace lentement pour atteindre la portion du mur ensoleillé la plus chaude. Attention on ralentit, pas de panique, faut laisser un peu de place à la basse qui chantonne tout doucement, la guitare soloïse comme la cigale qui passa l’été de la vie à chanter pour enchanter notre séjour terrestre. Une vision de l’existence, osons le dire, peu schopenhauerienne. C’est parti pour douze minutes de dérive pénardeuse. L’on attend qu’il se passe quelque chose, Anne ma sœur Anne ne vois-tu pas la mort venir, que nenni sœurette juste les champs qui verdoient et le soleil qui oroie… Ecoutez sans fausse peur, vous n'en mourrez pas. Un plaisir. Farniente à volonté.

    Bagana : même racine latine que le mot bagage bien de chez nous. Le sac ou la graine qui enveloppe les ferments du vouloir-vivre. Question musique c’est un peu la suite de la précédente, mais s’y mêlent de drôle de voix, ce qui n’empêche pas la guitare de piquer un petit solo, la batterie de continuer son pas balancé de dromadaire, une note nous précise que la voix est empruntée à de vielles publicités américaines contre la marijuana. Bon Dieu ! le sac contiendrait-il de l’herbe que le peuple hippie ne broute pas mais fume allègrement. Faudrait-il interpréter le titre précédent d’une autre manière… en tout cas l’on prend plaisir à suivre les volutes de cette guitare… Le rapport avec Schopenhauer risque de paraître lointain. Il ne l’est pas. Souvenons-nous des hippies américains (et des autres pays) adonnés aux cultures orientalisantes, ils prônaient une certaine libération de l’homme grâce à l’emploi des psychotropes, mais libéré de quoi ? de la peur de la mort ou du vouloir-vivre ? Même réponse schopenhauerienne à ceux qui affirment que la drogue ouvre les portes de la perception et donne accès à une plus grande conscience. Dans les deux cas, qu’on le cache ou qu’on s’en rapproche, il s’agit du vouloir-vivre. Que les détracteurs religieux de Schopenhauer n’ont de cesse d’identifier au néant. Fuir ou se réfugier dans le néant c’est nier la divinité affirment-ils, mais Schopenhauer ne reconnaît que le vouloir-vivre. Ce vouloir-vivre que l’on peut comparer à la notion aristotélicienne d’entéléchie. Ce qui au plus profond de notre être nous pousse à être.

    Ex nihilo nihit fit : (rien ne sort de rien) : roulette de dentiste, musique grave et profonde, plainte violonneuse avachie, l’impression se doit d’être grandiose, moteur diésel, notes de pianos en cris de souffrance, des murmures de respiration affleurent la pâte sonore, le message est simple, ex nihilo fit, rien ne naît du néant, nous vivons dans l’éternel présent, nous ne faisons que passer, avant de naître nous ne sommes que néant, une fois mort nous ne sommes que néant, plus rien. Nous sommes comme les feuilles de l’arbre, quand elles tombent d’autres les remplaceront, selon le vouloir-vivre de l’arbre, tout comme la présence du vouloir-vivre nous remplacera. Ce n’est pas que notre individuation reviendra toujours, c’est que le vouloir-vivre des choses et des hommes se renouvelle générationnellement sans cesse.

    Sobre a morte : suite funèbre, chœurs masculins qui donnent une sensation d’infini glacé, notes qui tombent comme des feuilles de plomb d’un arbre d’airain, un récitant prend la parole, il dit la tristesse de la vie, évoque-t-il ce sentiment de sereine résignation que prônait Schopenhauer face à l’inéluctabilité du vouloir-vivre, veut-il la mort, l’attend-il, le texte est terriblement ambigüe, pleure-t-il la mort d’un amour qu’il espère retrouver en se précipitant dans la mort, à moins que la mort ne soit l’éternelle fiancée que l’on attend tant que nous vivons, collée à notre chair, chevillée au creux de nos reins, une partie de nous que nous perdrons, dont nous nous débarrasserons enfin lorsqu’elle surviendra et nous recouvrera, la musique décroît lentement, quelques bribes esseulées en pointillés et puis plus rien. Très beau.

    Damie Chad

    *

    Après Thumos et l’idéale République de Platon, j’avais un peu de mal à quitter la Grèce, je ne sais si ce sont les Dieux ou 666 mister doom qui régulièrement présente sur You Tube des groupes qui vous tirent les oreilles dans le bon sens, mais nous voici encore sous le soleil d’Athènes acropolique dont est originaire Blind Sun.

    Leur origine remonte à 2016, se sont successivement nommés, Once in the Wild, Supersonic Fox et enfin Blind Sun. La composition du groupe a varié, le drumer que l’on entend sur le disque – enregistré en 2020 - a cédé la place à Antonis Aspropoulos.

    z17513pochetteblindsun.jpg

    La couve est de Manster Design qui a réalisé des dizaines de pochettes d’albums. Voir site, FB et Instagram. Jolie, toutefois un peu composite à mon goût, les amateurs de Rockambolesques ne manqueront de s’interroger sur la présence de l’ibis (mauve) à côté du serpent. Remarquez aussi le S hiéroglyphique de Sun.

    UNDER THEM STONES

    BLIND SUN

    (Février 2022 / Bandcamp)

    Xanthipie Papadopoulou : vocals / Marios Kassianos : guitar / Kostas Kotsiras : rhythm guitar  / Nick Toutias : bass / Angelo Psylas : drums.

    z17511photoblindsun.jpg

    Freedom in hell : dès les premières notes de leur séduisant stoner mélodique  l’on comprend qu’ils n’ont pas l’intention de révolutionner le genre, l’on s’en moque, l’on se sent bien, guitare et sur-guitare en intro et double intro, la ménagerie se met en place, vitesse de croisière atteinte en trente secondes, une voix s’élève, c’est celle de Xanthippe – nom de l’épouse ronchonneuse de Socrate, on lui pardonne, elle a les cheveux clairs de Hélène qui enflamma le cœur de Pâris et par qui plus tard la cité de Troie fut la proie des flammes, une blonde incendiaire à sa manière, un timbre de tungstène, dur et mélodieux à la fois, un bijou précieux, alors les boys lui confectionnent un coffret de bois précieux, rubis de batterie, améthyste de basse et topaze de guitares, pour sa rivière de diamants qui coule sans se soucier de rien, à tel point qu’il est nécessaire de réécouter le morceau en faisant semblant de ne pas se focaliser sur elle, difficile de prêter attention à leur travail d’orfèvres. Superbe morceau, pour une fois on ne nous entraîne pas dans l’enfer souterrain, nous restons sur terre, en plein désert, n’oublions pas que le stoner a souvent été surnommé le rock du désert par les journalistes, un véritable hymne à la solitude et à la survivance, violent, cruel, sans concession, à mettre en relation au niveau symbolique avec Born to be wild, mais cinquante ans après dans un monde désillusionné. Stoned godess : parfois le deuxième morceau d’un disque c’est comme le second roman d’un romancier que l’on attend au tournant, optent pour un groove plus lent qui enfle et se fait murmure pour accueillir the voice. Peut-être en avez-vous assez de ces filles qui se vêtent du titre de sorcière, mais qui dévêtues ne se révèlent guerre ensorcelantes, Xanthippe elle se pare de la couronne de déesse, elle laisse chanter les guitares et se répand en confidences impudiques sur le plaisir féminin, avec son riff qui monte crescendo et descend lentamento, l’on est ici sur l’autre face, obscure, des orgasmes chatoyants de Robert Plant au bon vieux temps du Zeppelin, Xanthippe se dévoile et assume ses contradictions. Viande crue. Vous risquez de saigner. Continent noir illuminé. These blues : retour au blues, les guitares rampent et le shuffle vous plie à son rythme, Xanthippe déclare sa flamme au blues, le blues est plus vieux qu’elle mais elle porte la souffrance et l’éternité du blues au creux de son esprit et dans l’épine de sa chair, les boys sont aux petits oignons, les guitares s’en donnent à cœur joie, mais Xanthippe joue à larynx de colère. Pas vraiment une déclaration d’amour, mais une déclaration de sexe meurtri de bleu. Ghost of revolutions past : la batterie démarre comme un moteur qui prend de la vitesse, et c’est parti, pour la révolution, peut-être pas, mais un morceau politique assez rare dans les groupes de rock, Xanthippe plaque les mots en shoots d’encouragements, ne jamais perdre l’espoir, accomplir ce que l’on doit faire, ne jamais abandonner l’esprit de la lutte. A peine trois minutes, mais les mots claquent comme des fusils, les boys en première ligne.

    Z17512Photoblindsun++.jpg

    I am : chipotages de cordes, coups de batterie, inflation de guitare, rien à voir avec une stérile affirmation du moi, le background fait table rase, enfin Xanthippe place ces mots à la manière des boxeurs qui ne pensent qu’à tuer l’adversaire, ouragan de colère et tumeurs de rage, Xanthippe règle ses comptes à tout ce qui s’est opposé à elle. N’est pas une sorcière mais une guerrière, derrière elle et puis devant les guitares taillent dans le vif et la batterie hache menu la chair du monde.  Uppercut de haine nécessaire. Tum : repli sur soi, musique comme éloignée, parvenant du dedans de soi, groove minimal Xanthippe énonce les mots de l’incertitude, de ses doutes, de ses désarrois ; elle ne pleurniche pas, elle serre les dents du vocal, y mord dedans, refuse tout secours extérieur, la solution est au fond de nous, batterie bétonnière, guitare perforateuse, coups décisifs, tranchants de guitares, les boys dessinent la porte de sortie, Xanthippe entonne le seul chant de victoire qui vaille le coup, celle que l’on remporte sur soi-même. Mariners : bruits de vagues, aubade cordiques, intro métaphore, toute douce, toute lente, la voix s’élève, pure, céleste celle de l’espoir, soudain l’aube se fait plus fraîche, la fin de l’histoire n’est pas pour aujourd’hui, la batterie ralentit, il faut continuer à lutter, la guitare a beau forer en avant, rien n’est encore gagné, les fausses promesses sont trompeuses, Xanthippe chante en sourdine, c’est les boys qui donnent l’ampleur au rêve aux ailes brisées, maintenant elle est seule dans la nuit,  lampe à huile  qui refuse de s’éteindre. Under them stones : continuité dans la ténuité mélodique, ronronnement de guitares comme le chat au coin du feu qui brûle dans l’âme de Xanthippe, chant qui n’ose s’affirmer, comme s’il avait honte de lui-même, mais les boys attisent l’incendie alors elle élève la voix pour témoigner de son échec, généralement l’on pose des pierres dessus, mais elle donne l’impression de cacher les pierres qui ont jalonné son existence. Ambiguïté des fondations. La voix susurre et prend de l’ampleur, la batterie s’affole. Fin de partie.

    Une réussite. On attend la suite.

    Damie Chad.

     

     

    *

              Le cyberpunk est un des nombreux courants de la Science-Fiction apparu dans les années 80. Le kr’tntreader à l’esprit affuté aura tout de suite relevé le hiatus : comment le punk dont un des slogans originels de base reste le fameux et fulgurant No Future peut-il se retrouver associer à l’idée de science-fiction.

             C’est qu’il existe deux sortes de futur, le premier très lointain situé à quelques siècles, voire millénaires de notre existence, les auteurs ne sont pas d’accord entre eux, certains nous décrivent des sociétés idéales dans lesquelles nos post-progénitures auront la chance d’évoluer, d’autres   parlent d’organisation tyranniques qui font frissonner. Pas de panique dans les deux cas, des plans sur la comète, l’on a le temps de voir venir…

             Le cyberpunk regarde par le petit bout de la lorgnette, ne pousse pas très loin le curseur du futur, maximum une cinquantaine d’années, vingt ans, dix ans, peut-être cinq, même deux… son futur ressemble à notre présent. Dans ces cas-là l’avenir s’annonce plutôt sombre… Soyons positifs, tant qu’on n’y est pas, jouissons sans entraves du peu de bon temps qui nous reste. A une seule condition, de ne surtout pas lire le dernier livre de Mathias Richard. Nous propose une autre lecture. Nous vivons déjà dans notre futur proche. Vous ne le croyez pas, pour vous en persuader, il nous donne la date d’ouverture de l’ère nouvelle cyberpunky. 

    2020

    L’ANNEE OU LE CYBERPUNK A PERCE

    MATHIAS RICHARD

    ( Caméras Animales / Juin 2020 )

    z17590mathias.jpg

    Attention ce livre de soixante-dix pages n’est pas un essai. Le but de Mathias n’est pas de persuader le lecteur, il n’a pas rédigé une thèse quadrillée avec argumentation calibrée au cordeau, ne cherche pas à vous convaincre.  Se contente de montrer. Je n’ai pas dit de désigner du doigt la lune hors de notre portée. Parle de l’intérieur. L’on entre dans ce livre comme l’on ouvre une porte. L’on se retrouve non pas dans un poème mais dans un cri de poésie brute. Prend la parole et ne la lâche pas. L’est tout seul dans son livre. N’est pourtant en rien nombrilique. Ce qu’il énonce c’est la trame existentielle de sa présence au monde. Joue le rôle du filtre des cigarettes qui garde le témoignage des poisons qui le traversent.

             Laissons cela pour le moment. Quittons la poésie pour la politique. 2020, l’année pas du tout érotique mais covidique. Ce n’est pas le pire. Virons le virus, ce n’est pas lui le coupable. N’est qu’un prétexte. Le plus dangereux c’est ce que l’Etat nous a imposé. Le confinement. Qui n’est pas un début mais la condensation de tout ce qui a précédé. De ce mouvement insidieux, de cette marche sociétale qui depuis des années fragmente les rapports humains et réduit l’individu à lui-même. Pourquoi croyez-vous que du début à la fin de son ouvrage Mathias ne parle que de lui, que de sa vie, n’emploie que la première personne, je-je-je… à la différence près que ce ‘’je’’ n’est pas l’intumescence lyrique d’un moi hypertrophique, mais un ‘’je’’ qui ne s’appartient pas, qui n’est plus lui-même, pas une girouette qui tourne selon le vent mais qui est traversée du vide du monde annihilé. D’où cette écriture que l’on peut qualifier d’impersonnelle. Mathias se raconte certes, mais surtout et avant tout, ce faisant il nous raconte. Ses errements sont nos errements. Il se regarde dans le miroir de sa nullité et lorsque nous tentons de saisir son image au fond de la glace, c’est notre portrait qui nous sourit. Ironiquement. Tout cela c’est le côté punk de Mathias. L’anti-héros par excellence qui ne comprend pas plus son époque qu’elle ne se soucie de lui.

             Reste à zieuter du côté cyber. Ce mot évoque notre dépendance à l’informatique. Pas uniquement le clic-clic de la mignonne petite souris. L’autre face qui induit nos vies, qui les surveille, qui les compartimente, qui les espionne, qui les guide, qui les désinvidualise, big brother qui nous aseptise. Nous transforme en clone de l’autre qui lui-même n’est que notre clone. Avec au bout la zone noire, celle du transhumanisme qui permet tous les possibles, d’augmenter nos possibilités de faire de nous des surhommes. Ou des suresclaves. Monde binaire, l’un ne va pas sans l’autre. L’emprise technologique qui dans les deux cas, surhumanisante, soushumanisante, nous déshumanise.

             Mais il y a plus grave. Si la cybernétique nous déshumanise, que fait-elle de la poésie. Sous-poésie ou sur-poésie. Si la poésie n’est pas à hauteur ou à démesure d’homme, elle est le produit d’une technologie d’écriture produite par une machine. Dada misait sur le hasard. La rencontre inopinée de deux termes qui a priori n’avaient rien à faire l’un avec l’autre. Une machine poétique ne peut pas compter sur le hasard. Le résultat serait trop aléatoire. La machine fonctionne selon le rythme de la répétition. Elle répète les mêmes processus, les mêmes gestes. Les mêmes mots. Avec des variantes, sans quoi sa production serait trop monotone, trop illisible. Elle peut répéter les mêmes cadres. Les mêmes structures. Encore faut-il inclure de subtiles variations qui monopolisent l’attention. En d’autres termes c’est le facteur humain des textes qui impulse ses propres algorithmes. Plus question de se laisser mener par le bout du nez. Mathias est passé maître en cette prestidigitation vocablique. Il casse la coquille des expressions toutes faites, mélange le jaune nourricier du sens avec la glaire blanchâtre du non-sens. Car un mot signifie tout ce qu’il signifie et tout ce qu’il ne signifie pas.

             Mallarmé parlait de disparition élocutoire du poëte. Mathias mise plutôt sur sa disparition scripturale. C’est à la machine du langage d’écrire le texte. Il ne suffit pas de la laisser agir toute seule, le machiniste, celui qui tire les fils de la marionnette – il est bon de relire Kleist pour entendre cela – doit s’abstenir de penser. Essayer de ne plus penser, c’est déjà penser qu’il ne faut plus penser, et penser qu’il ne faut plus penser c’est penser que l’on pense qu’il ne faut plus penser et penser… étrange ce serpent qui se mord la queue tout en ne la mordant pas, à moins qu’il ne la morde pas tout en la mordant. Pire si l’on pense que l’on pense avec les mots l’on a besoin de plus en plus de mots, même si ce sont les mêmes mots qui reviennent toujours, c’est justement et injustement de leur retour que le texte prend sens. C’est-là que survient la question subsidiaire, peut-on penser sans les mots. Reconnaissez que ce genre de vertige vous pousse, vous vacillant, dans le trou du désespoir le plus noir – l’ère cyberpunk n’est pas particulièrement heureuse, vous l’avez compris puisque vous en faites partie - reste que lorsque l’on est au fond du trou le seul espoir, non pas de s’en sortir, mais de s’en extraire, c’est de faire coucou et d’en rire.

             L’humour peut causer autant de ravage que la guerre. L’on rit beaucoup en lisant cet opus et pourtant ce n’est pas drôle. Ce que raconte Mathias Richard n’est guère joyeux.  Un peu comme ces blagues qui font toujours rire, car on les connaît. Mais là on ne les connaît pas puisqu’il parle de lui de ses intimités, les intérieures et les extérieures, hélas, on s’y reconnaît. La mouche qui bourdonne contre la vitre de son vécu, c’est nous. La vitre aussi. Le vécu aussi. Jusqu’au bourdonnement si particulier. Totalement nôtre. Du coup on ne rit plus. La comédie tourne au drame. A croire qu’il a installé une caméra dans notre appartement et une autre dans notre tête. Et qu’il a tout recopié dans son bouquin. Lecture shaker et montagnes russes.

             C’est un livre-Samaritaine, dans les rayons énumératifs on y trouve de tout, je vous rassure même du rock ‘n’roll – Mathias est musicien - mais l’on n’en ressort pas avec son dû, tout est gratuit, chacun peut se servir à son gré et choisir les éléments qui lui agréeront le mieux, et réassembler sa vie à sa guise. Un gros hic. Votre nouvelle vie, votre nouvelle personnalité, n’est pas supérieure à la précédente. Elle a le même goût déplorable. C’est à ce moment que vous comprenez que vous vivez dans une époque opaque. Qui pique. Depuis quand au juste ? Depuis l’an de disgrâce 2020.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    z16280cabots.jpg

     Episode 21

    LES QUATRE COINS

    Charlie a récupéré son bec meurtrier, son regard est devenu fixe, l’on sent qu’il n’est plus lui-même, qu’une force indépendante de sa volonté s’insinue en lui, qu’il se transforme en machine à tuer. Les filles poussent de petits cris, Joël saisit un de ces poufs hirsutes fort à la mode dans les années soixante-dix, pense-t-il vraiment se défendre avec cette arme dérisoire ! Charlie s’approche à petit pas saccadés du Chef, il lève son bec et s’apprête à le transpercer lorsqu’il se retrouve englué dans un brouillard aussi épais que le fog londonien – j’en déduis que le Chef a choisi un Coronado Fumato, qui surprend toujours ses interlocuteurs. Charlie n’y voit plus rien mais il entend deux voix. Celle du Chef, douce, paisible et rassurante – pourtant le Chef déteste être dérangé quand il s’offre un Fumato - :

    • Cher Charlie, vous avez donc la mémoire plus courte qu’un Courtido, ces petits Coronados pour jeunes filles prépubères, vous avez oublié que le Grand Ibis Rouge vous a ordonné de commencer par vous débarrasser des chiens !

    Le plus terrible, c’est que le GIR lui donne raison :

    • Exactement Charlie, troue-moi d’abord la peau de ces misérables sacs à puces, il est vrai que je t’avais dit lors de notre dernière entrevue que Monsieur Lechef était une commande spéciale et autoritaire, mais d’abord les dépose-crottes, ensuite les autres.

    Les chiens n’ont pas attendu Charlie, ils se sont dispersés dans le jardin, chacun s’est réfugié sur l’emplacement d’un des buissons d’hibiscus réduits en cendres. Charlie se dirige droit vers Molossito dont la queue frétille allègrement. Molossa aboie, Charlie darde son bec vers le pauvre chiot, mais à l’ultime seconde, la courageuse bête bondit en avant, se faufile entre les jambes du batteur stonien, étonné de le  voir s’échapper, Molossito traverse le jardin vers le quatrième buisson et s’assoit sur le tapis de cendres. Watts se retourne et fonce sur lui. Hélas pour lui, les cabotos sont enchantés de se livrer à une superbe partie de quatre coins. S’amusent à changer de place dès que Charlie fait mine de se diriger vers l’un d’eux.

    Charlie ne sait plus où donner du bec. Les chiens le narguent, l’appellent, ont l’air de se moquer de lui, détalent, ralentissent, accélèrent, empruntent comme des fous les deux diagonales. De grosses gouttes de sueur coulent sur son front, nous nous moquons de lui, nous l’ houspillons, ‘’ Cours plus vite Charlie’’, ‘’ Cut across shorty’’, nous rions franchement aux éclats. Qui ne partagerait pas notre joie ! Evidemment le Grand Ibis Rouge, aussi rubicond qu’un homard ébouillanté :

    • Bougre d’idiot, tu es ridicule, arrête-toi trente secondes que je t’insuffle le maximum de force que tu puisses supporter !

    Pas de paroles en l’air ! Charlie est gonflé à bloc, il a gagné en vigueur, ses foulées sont plus longues, il est beaucoup plus rapide et à diverses reprises les

    Chiens lui échappent par miracle. Comme d’habitude une idée géniale me traverse l’esprit :

    • Il faut aider les chiens, mettons-nous sur sa trajectoire pour le gêner et ralentir sa course.

    Nous apportons une aide précieuse à nos amis. Molossito adopte une nouvelle tactique, de temps en temps, par derrière il s’en vient mordiller les mollets de Charlie. Par deux fois, Watts s’écroule. Il se relève avec célérité, nous remarquons qu’il ne se fatigue plus, par contre les quatre pattes moulinent un tantinet, ils tirent une langue démesurée, si Molossa et Molossito s’en tirent encore assez bien, Rouky, plus massif, moins jeune est à la traîne. Charlie s’en est aperçu, il se concentre sur lui, ignore les deux autres, il le traque, ne lui laisse plus une seconde pour reprendre souffle. Nous avons beau essayer de le freiner, tirant même sur ses habits pour le retenir. Hélas, en pure perte.

    Charlie est parvenu à coincer Rouky, dans un coin, entre les deux murs. La pauvre bête est acculée. Le bec s’abaisse, se relève, s’apprête à frapper. Les yeux implorants de Rouky se lèvent vers lui. Je sais que les balles n’ont pas d’effet sur Charlie, je sors tout de même mon arme pour lui tirer dans le dos espérant que le choc des projectiles le déstabilisera quelque peu. Le Grand Ibis Rouge exulte :

    • Bien Charlie tue-le, sans pitié, doucement, cruellement, qu’il souffre un maximum !

    Charlie va frapper, et brusquement Rouky saute dans ses bras, il a passé ses deux pattes autour de son cou et lui lèche la partie du visage que le bec d’acier   laisse dégagé. Les mains de Charlie se referment sur son dos, et esquissent une caresse.  Charlie est tombé à genoux, Il a rejeté son masque, Molossa et Molossito s’en emparent et décampent avec.

    • Charlie : obéis – le Gir s’étrangle de rage - fais ton devoir, souviens-toi que vous avez signé, si je ne peux rien contre un mort, pense au reste du groupe, à ceux qui sont vivants, tes amis Mick, Keith, et Ron, ma vengeance sera terrible !

    Charlie a entendu. Il se retourne, lève les yeux et accorde au Grand Ibis Rouge, un pâle sourire, suivi – je ne m’attendais pas à ce geste de la part d’un gentleman comme Charlie Watts, ni d’un anglais si bien élevé, un superbe bras d’honneur !

    Qui produisit son effet. Il fut immédiatement suivi d’un intense éclair rouge. Le Gir n’était plus là. Disparu en une fraction de seconde !

    SOIREE RECREATIVE

    Il faut le dire, pour un mort Charlie était en pleine forme. Encore un soupçon d’énergie et les filles devenaient ses groupies attitrées. Nous étions rentrés dans l’abri et devisions sereinement. Les chiens se virent offert un plateau de charcuterie pantagruellique. Bien Mérité. Rouky le dévorait couché au pied de son maître. Charlie lui tapotait la tête :

    • Mon Rouky, quand j’aurai terminé mon contrat, je te jure que je t’emmènerai avec moi au pays des morts, nous ne nous quitterons plus.
    • Dites-moi, cher Charlie, de quel contrat parlez-vous, vous serait-il possible de nous en communiquer les termes exacts, ce genre d’informations ne peut que nous aider à comprendre les dessous de cette affaire. Attendez toutefois une minute que j’allume un Coronado, ce genre d’activité ne supporte pas la moindre inattention !
    • C’est très simple, nous les Rolling Stones avons signé un contrat collectif. Le Grand ibis Rouge, nous promettait fortune, réussite et célébrité toute notre vie. Il a tenu parole. Nous devons le reconnaître. En échange nous nous engagions une fois morts à tuer mille personnes. Il était en outre spécifié qu’un seul d’entre nous pourrait être chargé de cette tâche macabre. Nous avons cru à une plaisanterie, nous avons apposé nos paraphes au bas du document sans sourciller. A peine la pierre tombale s’était-elle refermée sur mon cercueil que le Grand Ibis Rouge m’est apparu et m’a déclaré qu’il m’avait choisi pour tuer les mille personnes qu’il me désignerait. Qu’après quoi le contrat rempli nous serions quitte.
    • Parfait, dit le Chef, cher Charlie nous allons vous tirer d’affaire. Quel malheur quand je pense que cette palpitante aventure tire à sa fin ! Gros dodo, ce soir, demain nous avons du travail.

    Nous nous endormîmes du sommeil du juste.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 259 : KR'TNT ! 379 : KIM SALMON / BOSS GOODMAN / ROCKET BUCKET / HIGH ON WHEELS / STONED VOID / NO HIT MAKERS / 2SISTERS / BRAIN EATERS / KRONIK & KO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 379

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 06 / 2018

    KIM SALMON / BOSS GOODMAN

    ROCKET BUCKET / HIGH ON WHEELS / STONED VOID

    NO HIT MAKERS / 2SISTERS / BRAIN EATERS

    KRONIK & KO

     

    Kim est Salmon bon -
Part Three

    z4194salmon.gif

    Kim Salmon ressemble de plus en plus à Pierre Richard, surtout depuis qu’il s’est dessiné des saumons dans le dos et sur le devant de sa veste. Des saumons couronnés, en plus. C’est dire l’ampleur de sa fantaisie. Et comme chacun le sait, les fantaisistes font le sel de la terre. Mais Kim Salmon a l’avantage en plus d’être un fantaisiste scientifique, et fait donc en plus du sel le poivre de la terre. C’est dire si l’homme est complet. C’est dire si l’homme avance. L’inespéré de toute cette affaire est qu’il a reconstitué l’équipe scientifique des origines, avec à sa gauche Tony Thewlis et à sa droite Boris Karloff. Et croyez-moi, ces trois scientifiques dégagent quelque chose de très spécial, un son issu d’albums qu’on tient pour sacrés et qu’ont depuis trente ans enseveli les sables du désert.

    z4196photo1.jpg

    Croyez-vous qu’il soit difficile de déterrer un culte ? Non, rien n’est plus simple. Il suffit de remonter sur scène. C’est aussi bête que ça. Mais autant le faire avec du style, en choisissant par exemple un esquif arrimé au pied d’une grande bibliothèque. Les pèlerins viendront des régions les plus reculées pour communier sur l’autel d’un vieux culte ébouriffant. Chacun y trouvera sa dose de spiritualité scientifique, comme au bon vieux temps de l’âge d’or, quand on naviguait à vue dans les mirifiques sargasses de «Swampland», quand on se plongeait avec délice dans la marmite bouillonnante de «Blood Red River» et que les harangues saumonées doublées des violences relatives de l’absolu Thewlissien venaient nous télescoper l’occiput et en pénétrer la vulve. Il n’existait pas de limite au vice scientifique, cette espèce de rimbaldisation post-moderne qui ne se contentait pas de nous bouleverser les sens critiques, puisqu’on allait jusqu’à toucher au fruit défendu, c’est-à-dire prendre goût à l’inavouable. On atteignait un point où l’on croyait réellement rôtir en enfer et adorer ça. Prodigieusement visionnaire, Kim Salmon réussit à l’époque à situer les Scientists entre les Cramps et le Gun Club, directement au même niveau, celui des intouchables. Comme Lux et Jeffrey Lee Pierce, il le fit avec ce mélange d’aisance groovy et d’autorité sonique qui aujourd’hui encore laisse rêveur. Comme Lux et Jeffrey Lee, Kim Salmon détenait le power suprême : le son et les hits. Et quel son ! Et quels hits ! Le revoir claquer «Swampland» en ce début de XXIe siècle frise le surréalisme, mais pas celui du despote Breton, le vrai, celui de l’automatisme psychique de la pensée, celui du kid hanté par une certaine vision du rock, celui du kid en quête du Graal des temps modernes, le son. Kim Salmon cultivait exactement la même obsession que Phil Spector, que Shel Talmy, que Lux et Jeffrey Lee, que Jack Nitzsche, que Shadow Morton, le son. Il fut à la fois le Lancelot du Lac et le Gauvain des temps modernes, il traversa l’Angleterre et les océans en quête du Graal sonique et comme Lancelot et Gauvain, il s’épuisa à le chercher. Il fouilla les bois et les montagnes, les lacs et les gouffres. Il questionna les sorcières et tisonna des infidèles.

    z4199photo4.jpg

    Mais l’objet de sa quête ne daignait pas paraître. Comme il ne le trouvait pas, alors, il prit la décision que prennent tous les bons scientifiques : il résolut de le fabriquer. C’est exactement ce qu’on entend quand on écoute «Swampland» : un Graal sonique fabriqué de toutes pièces. Mais l’animal ne s’est pas arrêté là. Comme il était en train de bricoler son Graal au fond de son petit laboratoire d’apprenti sorcier, il s’est dit : «Tiens, tant que j’y suis, je vais en profiter pour fabriquer une pierre philosophale, comme celle du pote Paracelse, vous savez, le fameux or des alchimistes !» Ça donne «Solid Gold Hell». Brillant cerveau. L’or des enfers. L’absolutisme scientifique par excellence. Et c’est aussi bien sûr le cœur du grand œuvre, c’est-à-dire la reformation des Scientists sur scène. L’exacte incarnation du four ronflant qu’enveloppe la légende des siècles. Rien de plus spectaculaire que de voir Boris Karloff jouer la bassline de «Solid Gold Hell» en glissé de note et en deux accords paralysés sur le manche comme le cerf dans les phares du 38 tonnes qui arrive à fond de train. C’est l’un des hauts faits du rock : bloquer le temps du Graal alors que le son flambe littéralement entre les mains de Tony Thewlis et de Kim Salmon. Boris Karloff joue ça penché sur son manche, avec un étrange sourire en coin, les yeux comme fixés dans le vide. Fabuleuses secondes d’intensité mythique. Ce qui fait l’importance considérable de l’art des Scientists, c’est sa rareté. Sa prodigieuse singularité. Le point de tous les ralliements.

    z4197photo2.jpg

    Et on les voit enfiler leurs vieux hits comme des perles noires, celles dont a rêvé toute sa vie Henry de Monfreid sans jamais réussir à les pêcher. Il ne savait pas que Kim Salmon les fabriquait. Cet homme est aussi peu avare de prodiges qu’Elvis l’était de grâce naturelle. Mais il les serre dans le temps d’un court set, c’est-à-dire une heure de temporalité et une pincée de vieux albums, et forcément, les hommages qu’il rend sont encore moins nombreux que les cheveux sur la tête à Mathieu : le premier hommage s’adresse à John Barry dont il reprend «You Only Live Twice», ce vieux standard sulfureux jadis utilisé pour corser le mystère de James Bond, mais tombé dans les pattes d’un scientifique audacieux, ce monument délibéré prend des allures d’épidémie de peste, d’orgie sonique et de fléau béni des dieux antiques. C’est tellement rampant qu’on sent remuer dans l’air fétide la lourde peau squameuse d’un anaconda géant. C’est d’une épaisseur qui évoque dans l’esprit de tous ceux qui l’ont vécu le souvenir de la forêt amazonienne, saturée d’air chaud et humide, où ne peut exister que ce qui est organique, et où l’homme passe au dernier rang de la hiérarchie du vivant. Il rend aussi un hommage à Jacques Dutronc, avec une version amusante de «Mini Mini Mini» qu’il chante bien sûr dans un Français approximatif. Le choix est parlant. Taper dans Dutronc est une preuve de goût. Mais de goût pimpant. Richard Salmon balance ici et là des petites vannes qui nous rassurent sur son manque de sérieux.

    z4198photo3.jpg

    Et puis bien sûr, tout va basculer dans le chaos divin avec «We Had Love», une sorte de signal que le petit peuple attendait pour entrer en insurrection. Pas de meilleur détonateur que ce vieux «We Had Love». Le cat Kim le jouait aussi quand il tournait en solo. On a là un hit aussi prestigieux que «Human Fly» ou «Sexbeat». Le genre de hit qui monte au cerveau dès les premières mesures et dont le refrain s’ouvre comme le sol sous les pieds lors d’un tremblement de terre. «We Had Love» nous engloutit tous d’un coup, sans mâcher, et ça va loin, puisqu’on ne fait rien pour échapper à ce délicieux destin de fin du monde, car enfin, existe-t-il meilleur moyen de tirer sa révérence ? Non, évidemment. Les Scientists nous font cette faveur, et en même temps, un voile de tristesse s’abat sur le petit peuple, car que peut-on espérer après ce «We Had Love» qui s’élève comme un sommet ? Kim Salmon a déjà enfilé toutes ses perles noires, et la messe semble dite. Va-t-on calmer sa faim avec les nouveautés qu’il annonce ici et là, comme le B-side de «Mini Mini Mini» qu’il enchaîne et qui s’appelle «Perpetual Motion» ? Ça manque un peu de magie pendant la première minute et puis tout à coup, ça prend feu, par quel miracle ? On ne sait pas, mais ça prend feu. Par contre, Kim Salmon et ses amis scientifiques reviennent jouer trois cuts en rappel qui ne laisseront pas beaucoup de souvenirs aux sables du désert.

    z4200batteur.jpg

    Au fond, ce n’est pas si grave, il faut simplement se préparer à l’idée que l’album de la reformation des Scientists produira sur les organismes ébranlés par tant d’excès moins d’effets que Blood Red River ou The Human Jukebox dont on fit tant d’éloges dans le Part Two de cette saga salmonienne. Mais on reste convaincu que l’homme poisson n’en finira plus de nous donner la berlue, car il a déjà prouvé à cent reprises qu’il savait transformer le pain en vin et le plomb en organdi. Il lui arrive parfois de se mélanger les crayons, ce qui fait sa grandeur. Sur KRTNT, on ne tolérerait pas la présence d’un scientifique rationaliste. Quoi de plus ennuyeux ? Comme ses pairs, Kim Salmon remonte les fleuves en toute liberté et veille à éviter les griffes des ours et de tous ces empêcheurs de salmoner en rond qui transforment cette énergie et cette liberté en gros paquets de 24 tranches, ceux qu’on voit entassés dans les caisses réfrigérantes des grandes surfaces, au moment des fêtes, quand on croit bêtement qu’il faut bouffer du saumon pour célébrer la naissance du Christ ou le nouvel an.

    z4201photo6lesdeux.jpg

    Signé : Cazengler, Kim salmigondis

    Scientists. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 7 juin 2018

     

    Big Boss Goodman

    z4195dessin2.gif

    Comme par hasard, c’est dans Vive Le Rock qu’on salue la mémoire de Boss Goodman. Au fond c’est normal qu’on ait rien vu en France, car si l’on excepte les fans des Pink Fairies, personne ne sait qui est Boss Goodman. Il existe une logique en toute chose, même dans l’ignorance.

    z4208deakin.jpg

    Et comme par hasard, c’est Rich Deakin, l’auteur de Cosmic Boogie, qui signe cette pieuse eulogie. Boss Goodman n’est pas un personnage de premier plan comme le sont Mick Farren et les Fairies, mais il fait partie de cette famille légendaire de l’underground londonien. Si on le croise dans Cosmic Boogie, c’est en tant que road manager des Fairies. Il participe notamment à cette fameuse expédition de Boleskine House qui fit le bonheur d’un auteur de contes rock.

    z4210bigboss.jpg

    Boss avait plusieurs cordes à son arc : il bookait des concerts dans des clubs mythiques de Londres (Dingwalls et Town & Country Club) et cultiva un peu plus tard une réputation de chef cuistot - He loved his food - puisque dans les années 90, il cuisinait au Portobello Gold pour des personnalités de passage à Londres, comme par exemple Bill Clinton et son entourage.

    Boss était donc un bec fin et quand il programmait des gens au Dingwalls, il tapait dans la crème de la crème du gratin dauphinois : Etta James, Muddy Waters, Carol Grimes, et quand la vague punk américaine vint lécher le pied de la Tour de Londres en 1977, il fit jouer les Ramones.

    z4206cigaret.jpg

    Boss démarra sa carrière de rôle de second plan à Ladbroke Grove, West London, qui est la capitale de l’underground mondial. Boss s’y goinfrait d’amphétamines et de LSD et fit le roadie pour les Deviants qui allaient se métamorphoser en Pink Fairies. Dans son autobio, Mick Farren rend hommage à la stature de Boss qui sut gérer le chaos du groupe : «Boss had considerable experience of dealing with the derangeed.» En fait , Boss gardait la tête sur les épaules quand les autres la perdaient - Boss was the one to keep his head when we were losing ours - Dans ses mémoires, Mick Farren ne lésine pas sur les détails. Il décrit en long et en large l’énorme consommation de stupéfiants qui constituait le pain quotidien des Deviants, puis des Fairies. Vers la fin du livre, il narre l’épisode hilarant du protoxyde d’azote - nitrous-oxide - un gaz euphorisant utilisé notamment par certains dentistes. Boss revenait d’un voyage en Californie et disait avoir été initié au nitrous-oxide dans le backstage du Grateful Dead par des Hell’s Angels. Alors, Mick et ses copains allèrent barboter une bombonne de nitrous-oxide dans un hôpital. Ils transformèrent la bombonne en narghilé en scotchant une chambre à air de pneu de vélo sur la valve - Suck on the rubber and see the elephant - Il ne restait plus qu’à pomper dans le tuyau pour voir des éléphants. Mick ne tarit plus d’éloges sur le nitrous-oxide, flull-blown candy-land hallucinations & time distorsion. Il dit se souvenir d’avoir survolé ces plaines lumineuses et ces canyons multicolores qu’on trouve dans les aventures de Dan Dare/Flash Gordon - A joyous experience of total escape. Trip parfait.

    z4209mic+boss.jpg

    Un autre épisode illustre la belle amitié qui lie Mick et Boss. Quand lors d’une tournée fatale au Canada, les Deviants virent Mick Farren sans préavis, celui-ci se retrouve seul, sans un rond, camé jusqu’à la racine des dents, à l’autre bout du monde. Qui vole à son secours ? Boss, bien sûr. Le chapitre s’appelle Weird Scenes on Chemical Row. Mick a erré toute la nuit dans les rues de Vancouver, tellement défoncé qu’il ne voit même plus ses pieds. Il s’assoit sur un banc face au Pacifique, et reste là des heures, jusqu’au moment où le froid le saisit. «Le seul endroit où je me sentais en sécurité était un bar de bikers et c’est là je crois que Boss m’a retrouvé. Il m’a fait manger du chocolat au lait, m’a emmené là où se trouvait mon sac et m’a fait prendre un taxi pour l’aéroport, dans la lumière d’une aube éblouissante - in a blazing psychedelic dawn - aussi orange que l’acide que je venais de prendre. The Flying Zombie was on Air Canada to Heathrow, via Montreal. Je ne voulais pas rentrer chez moi, car je n’étais pas sûr d’avoir un chez moi, but what else a poor boy do ?» - Fantastique auteur que ce vieux Farren, l’une des plus belles plumes rock’n’roll de tous les temps.

    C’est aussi Boss qui aide Mick à organiser le mythique Phun City Festival où jouèrent le MC5, less Pretties, Edgar Broughton Band, les Pink Fairies et Hawkwind - At Phun City the gear was perfect, Boss had seen to that - Certainement l’un des événements les plus importants de l’histoire du rock anglais.

    z4211kramer.jpeg

    Et c’est bien sûr en compagnie de Boss que Mick se rend à Los Angeles en 1978. Il est alors pigiste au NME et l’idée est de remonter en train de Californie jusqu’à Detroit pour rendre visite à Wayne Kramer qui est devenu un copain, depuis Phun City - The journey to Detroit commenced in the early evening with a bottle of tequila - Et comme les trains n’avancent pas vite aux États-Unis, Mick et Boss ont largement le temps de se piquer la ruche - The two of us fell into a stupor and it didn’t matter anyway - Le lendemain matin, dès l’aube, ils font passer leur gueule de bois avec des pancakes et des Bloody Marys. Quand ils arrivent enfin a Detroit, après un changement en gare de Chicago, ils apprennent que Wayne Kramer s’est fait choper par les stups pour trafic de coke. Il va se prendre deux piges dans la barbe. À sa sortie, Boss et Mick le font venir à Londres et organisent un concert en son honneur au Dingwalls.

    À la fin des années quatre-vingt, Boss vit sa conso de dope grossir considérablement et il entra dans une période que Deakin qualifie élégamment de something of a lost decade. On a tous connu ça, ces passages à vide qui durent dix ans, et sa double passion pour la musique et la bouffe finit par le ramener à la surface : chef au Portobello Gold et DJ au 100 Club, jusqu’à une première crise cardiaque en 2005. Et comme son état ne lui permettait plus de bosser, ses copains organisèrent un concert de soutien et firent paraître un disque, le tout destiné à l’aider financièrement.

    z4204portobelorouge.jpg

    Le disque, c’est Portobello Shuffle, bien sûr, une vraie bombe. Le monde entier aurait dû l’acheter. Ce sont les Pink Fairies qui ouvrent le bal avec une version effarante de «Do It». Paul Rudolph chante et les Pink Fairies avancent à travers les plaines en flammes ! C’est une version complètement dévastatrice et quand Paul part en solo, on atteint le summum du sonic trash boom hue-hue. Tout le son de Steve Jones vient directement de là. Effarants Fairies. L’un des meilleurs groupes qu’on ait pu voir sur scène dans les seventies. Mick Farren tape une version spectaculaire de «Baby Pink», accompagné par son vieux complice Andy Colquhoun et Philty Animal de Motörhead au beurre : tous ceux qui ont un faible pour l’essence de la puissance seront comblés. Mick Farren remet les pendules à l’heure avec l’autorité d’un roi de l’underground. Pur Ladbroke stuff. Comme tous les grands personnages de l’histoire, Mick Farren crée son monde. Rien qu’avec ce cut et le Dot It des Fairies, on frise l’overdose. Mais on continue, car ce disque grouille de huitièmes merveilles du monde, à commencer par le «Teenage Rebel» de Brian James & Rat Scabies. On retrouve ce grand seigneur de la guerre que fut Brian James, l’un des rois du London rock’n’roll, et Rat le suit comme il peut. On assiste à un incroyable spectacle : Brian James explose le cut en plein vol. Il est bel et bien le wild flash killer des légendes anciennes. Tout aussi légendaire, voilà Captain Sensible avec une version explosive de «Say You Love Me». Cet enfoiré l’explose dès l’intro, il le riffe par le fion, sans respect pour les muscles aléatoires. Capt capte les énergies du destroy oh boy comme personne. Il pulse le Portobello Shuffle au mépris de toutes les conventions médicales. Tiens, voilà Darryl Read, figure mythique de cette scène proto-punk, puisqu’il jouait avec Jesse Hector dans Helter Skelter. Il balance ici un joli «Somewhere To Go». Diable comme il peut compter aux yeux des connaisseurs ! Comme s’il jouait son vieux proto-punk à l’abri des regards indiscrets ! Étant donné qu’il sait exploser un cut, alors il l’explose. Il ne sait faire que ça dans la vie. Parmi les invités de marque, on retrouve Clark Hutchinson qui sont restés des figures légendaires dans le petit monde des amateurs de seventies sound. Nik Turner se joint aux Fairies pour un version longue et fascinante d’«Uncle Harry’s Last Freakout», un vraie débâcle digne du Detroit Sound, avec un mystérieux Mister B on guitar. C’est une fois de plus incendiaire et complètement irrespectueux des canards boiteux. Ça pulse à l’outrance de la persistance et le grand Nik Turner visite l’incendie à coups de porcelaine de saxe. Tout le son de l’underground se déverse dans l’escarcelle du non-retour. Nik souffle dans son sax de sexe en souvenir des tempêtes de Margate. Belle jam de hot spots in spurts. Ces mecs ont su rendre l’underground vraiment digne de nos facultés imaginaires. En écoutant Nik jouer, il semble qu’un fleuve charrie l’essence du rock, les vents de sax scient la scène et dans le son des Fairies tout devient possible, surtout l’inadmissible. On trouve aussi John Sinclair parmi les invités, accompagné par George Butler qui faisait le deuxième batteur des Fairies et qui lui aussi vient tout juste de casser sa pipe en bois. Adieu George ! John Perry des Only Ones et Adrian Shaw (qui jouait dans Hawkwind avant de rejoindre The Bevis Frond) font une reprise du fameux «Half Price Drinks» de Mick Farren. On note aussi la présence sur l’album de Wilco Johnson et de Wreckless Eric qui vient faire de la petite pop. Heureusement, Larry Wallis restaure le blason de l’underground avec un ultime hommage à Boss, «He’s The Boss» - He’s the boss all day and the boss all nite - Fidèle à lui-même, Larry fait le con avec des machines, brode des trucs sur sa Strato et s’amuse à s’arracher la glotte au sang. Bizarrement, deux gangs brillent par leur absence : les Pretties et l’Edgard Broughton Band.

    z4207n°53.jpg

    Pour conclure sa pieuse eulogie, Rich Deakin se voit contraint de faire un tri dans l’énorme tas de qualités qui recouvraient Boss. Il se résout à en choisir trois : humour, générosité et loyauté. Et à sa connaissance, très peu de gens bénéficiaient d’autant de respect que Boss in the London music scene of the 1970s.

    Signé : Cazengler, boss Goodyear (crevé)

    Boss Goodman. Disparu le 22 mars 2018

    Portobello Shuffle. A Testimonial To Boss Goodman. Easy Action 2010

    Mick Farren. Give The Anarchist A Cigarette. Pimlico 2001

    Rich Deakin : Rock In Peace. Vive Le Rock #53. 2018

    14 / 06 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    STONED VOID / HIGH ON WHEELS

    ROCKET BUCKET

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Peu de monde ce soir à la Comedia. Je sais bien que le vendredi au petit matin la grosse majorité des gens travaillent – et ces enfoirés de cheminots qui ne vous fournissent que deux jours d'excuses par semaine pour votre patron, pourraient bloquer le pays totalement jusqu'aux vacances, non d'un train ! - de toutes les manières je ne crois pas que la valeur travail soit unanimement partagée par la clientèle de la Comédia, par contre l'annonce du concert sur le site de la Comedia, fallait effeuiller la marguerite des flyers pour la trouver. De toutes les façons la soirée était étiquetée stoner-rock, le rock du désert a tenu ses promesses, personne à l'horizon, et nous pépères à l'oasis montreuillois en train de boire des coups. Je puis en donner la preuve par neuf : trois groupes de trois musicien. CQFD.

    STONED VOID

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Sont jeunes, et se revendiquent du Stoner. Je veux bien. N'ai rien contre. Surtout qu'ils sont sacrément bons. Mais alors du Stoner Prog – faut que je dépose l'appellation avant que quelqu'un ne me la fauche – car ils se donnent du mal pour s(t)onner comme ils l'entendent. Yavor est aux drums, et au vocal, son anglais a de drôles d'intonations mais il pourrait chanter tout aussi bien en swahili ou en serbo-croate, que cela ne ferait aucune différence, c'est que la voix n'est utilisée que comme une salamandre qui vient s'inclure dans la trame instrumentale, un quatrième instrument, qui apparaît rarement mais qui s'amalgame aux trois autres comme le cachet que l'on adjoint à la lettre, le cadenas par lequel on referme la ceinture de chasteté de sa copine. Leur musique est à eux, et ils la gardent bien serrée. Un cloaque profus, y barbotent dedans avec une énergie non feinte. Sabin bosse à la basse, c'est lui qui profile le son de base, ne se gêne pas pour vaquer à ses répétitions. Cent fois remettez le motif, cela finit par produire son effet. Surtout que ses deux acolytes enjolivent le bébé. Barboteuse de plomb et chaussons de fil de fer barbelé. Du costaud. Yavor cogne fort, ne comptez pas sur lui pour marquer le rythme, lui, l'est le partisan et de l'empilement et de l'effondrement. Vous monte des espèces de tour de Babel sonore à grands coups de toms, puis vous les écrase plus bas que terre, à coups de cymbales, des cascades à la Carl Off, donne l'impression qu'il aplanit le sol à toute blinde pour que personne ne remarque le cadavre qu'il vient d'enfouir. Le sable du désert est le matériel idéal pour ce genre d'activité. Câlin ne câline pas sa guitare. Elle bourdonne comme le bumble bee à qui vous venez d'arracher une aile et trois pattes. Une espèce de gloutonnement de fond. Et c'est là-dessus que ses mains prennent leur envol. Le chirurgien qui remue et trousse les tripes de son patient dans l'espoir de retrouver sa paire de ciseaux qu'il avait oubliée lors de la précédente opération. Manifeste qu'ils ont un compte à régler avec leurs instruments. Ces damnés ustensiles sont en train de se rendre compte qu'ils ne sont pas les maîtres, qu'ils ont trouvé plus forts qu'eux.

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Un premier morceau qui stupéfie le public. Doigté karaté, le plus convaincant de tous. Après l'on attend le suivant avec impatience. Avec gourmandise. L'on a pigé que l'on ne s'ennuiera pas. Vont nous en décliner une petite dizaine, tous plus irradiants les uns que les autres. Une couleur que vous n'avez jamais entendue. Et que vous reverrez avec plaisir. Celui des esthètes qui préfèrent les sons inaccoutumés, les descentes d'organes et les remontées d'acide. Estoner-moi benoît !

    Un groupe à ne pas quitter du radar.

    HIGH ON WHEELS

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    On prend les mêmes et on recommence. Surtout qu'ils avaient prêté l'essentiel de leur matos aux précédents. Rassurez-vous, sauront se démarquer. Quelques années de plus. Moins de concentration, davantage de rapidité. A la masse sonore ils privilégient l'espace. La guitare de Bruno, se charge de rejeter au loin les murs de l'horizon. Fuite en avant et pas de retour en arrière. Grégoire pose les parpaings qui bloquent toute régression. Rabat le son, pousse ses camarades, les talonne à coups de boutoir, déjà qu'ils n'en ont pas besoin, la guitare qui filoche et la basse de Gilles qui ricoche comme la boule du billard qui précipite les autres dans le néant. High On Wheels le morceau éponyme qui roule pour lui met très vite le public d'accord. Acclamations.

    Des forcenés. Sans relâche. Sans repos. Ont tué les temps morts. Desert Spirit, Pray for Your Kills, la musique de plus en plus forte, de grands espaces de lave incandescente qui s'étalent comme des mers intérieures au fond des cratères, et puis le bouchon explose et High On Wheels entre en éruption. Until you Die, Nightmare, jusqu'au bout du cauchemar. Une monstruosité des plus agréables. Progression en extension. Plus ils déroulent le set, plus Bruno saccade ses peaux, frappe spasmodique, augmente la cadence, fractionne le continuum temps, afin d'en précipiter l'incommensurable monotonie des jours qui ne connaissent pas les tempêtes du désert. Gilles martyrise sa base de basse. La presse comme les citrons acides de Lawrence Durrell. En extrait le substantifique élixir des sentences ravageuses, poinçonne les cordes à croire qu'il voudrait les sectionner, pour mieux les étirer, vers des notes plus noires et plus profondes.

    Bruno joue une drôle d'escrime avec sa guitare. L'est pour le combat rapproché. La lame à mains nues. Notes borborygmes et strangulations glottiques. Vous donne l'impression que son instrument suffoque, qu'il éructe de trop de sons, que l'air lui manque, qu'il croasse pour ne pas rester coi, l'a des descentes de manche et de ces grattonnements de caisse à pleines paumes, à ramassis exacerbés de doigts tarentulesques en pattes d'araignées folles, à devenir épileptique, à préférer s'enterrer vivant plutôt que de survivre à de telles avalanches soniques qui vous aspirent à tout jamais dans les entonnoirs d'univers parallèles angoissants.

    High on Wheels vole haut. Nuées d'applaudissements. Tellement les oreilles qui résonnent de leur musique que j'ai oublié de mentionner le chant. Le perçois ce soir comme des chœurs froissés, sous-jacents, oratorios funèbres.

    Un groupe à ne pas quitter du sonar.

     

    ROCKET BUCKET

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Changement d'ambiance. L'on quitte le désert. On doit avoir du sable dans les cheveux, car on ne nous laisse pas entrer dans l'appartement. Confinés au garage. Ce qui n'est pas pour nous déplaire. L'est rempli de hot-rods américains. Fonctionne à la moutarde de Dijon, les Rocket Bucket viennent en effet tout droit de la patrie d'Aloysius Bertrand.

    Rocket Bucket ne délivre pas un rock aussi torturé et trituré que les deux stonered précédents. Ne donnent pas dans la ratiocination métaphysique. Leur truc à eux, c'est tout simple, le bon rock qui tache. Genre fleur carnivore qui s'enroule mollement autour de votre mollet et qui brusquement vous engloutit dans sa monstrueuse corolle empoisonnée. Quand elle vous relâche après vous avoir pompé tout le sang, vous êtes addict, vous êtes en manque de cette vulve géante qui vous sucera jusqu'à la moelle des os.

    Je vous le ré-explique en moins lyrique pour ceux qui ne sont doués que d'esprit de géométrie et totalement dépourvu de l'esprit de finesse poétique. Les Rocket Bucket ne cachent pas leur modèle : les Ramones. Vous refilent le rock en barres. De chocolat. Vous vous en mettez plein les doigts et plein le T-shirt. Préfère ne pas évoquer les traces douteuses dans le slip.

    Le rock c'est simple. Pas besoin de torturer les guitares et les méninges. Morceaux pas trop longs, Guitare speedée et batterie galopante. Avec cette formule vous irez jusqu'au bout de la nuit et même jusqu'au bout du monde. C'est cela le rock : une allumette que l'on frotte et qui s'éteint. Et le bâton de dynamite qui vous éclate sur le museau et tout le monde est content et crie de joie. Les titres défilent à toute vitesse, Ghost, Rain, Black Hole, Too Much, Grow Old, Danny Boy, None...

    Terriblement efficaces. Bien en place. Rien qui dépasse. Vous lancent la torpille mais ne se déplacent pas après pour le constat de l'assurance. Ne passent pas l'aspirateur non plus pour la poussière soulevée par la roquette, estampillée Rocket Bucket. Tellement bons qu'ils auront droit à un rappel, ce qui ne se fait pas à la Comedia because les horaires des gens qui travaillent autour... Entre nous soi dit, feraient mieux de mettre davantage de rock'n'roll dans leurs existences. N'en seraient que plus heureux !

    Un petit godet de Rocket Bucket et vous voyez la vie en rose. Enfin, seulement les éléphants. Ce qui tombe bien puisque nous aimons les animaux, sauvages.

    Un groupe à ne pas quitter du pulsar.

    Damie Chad.

    16 / 06 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    NO HIT MAKERS / 2SISTERS

    BRAIN EATERS

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    On ne change pas de resto qui offre une bonne bouffe. Retour à la Comedia. En plus ce soir, vous avez un stand de gourmandises africaines pour pas cher. Autant l'avant-veille c''était un peu zone désertique, autant ce soir le monde afflue, on se croirait sous un portique athénien dans l'heureux temps où Gorgias égrenait ses sophismes. Vous démontrait en trois minutes que le monde n'existe pas. L'avait parfaitement raison car tout le monde sait très bien que seul le rock'n'roll accède à l'Être. Et ce soir nous sommes gâtés, trois éruptions volcaniques au programmes, trois épisodes de peste bubonique comme l'Europe n'en a plus connu depuis la fin du Moyen-Âge. Trois calamités à faire reculer la banquise de dix kilomètres d'un seul coup. L'est sûr que le rock'n'roll est le principal agent pathogène qui précipite la hausse de la température sur notre planète. Les effets catastrophiques sur la psyché humaine sont déjà visibles, nous n'en prendrons que trois exemples : les transmutations génétiques des 2Sisters en quatre garçons velus, la résurgence des anciennes pratiques du cannibalisme rituel avec l'apparition de la confrérie mangeurs de cervelles, et peut-être pire que tout, cette proclamation programmatique des No Hit Makers à ne rien tenter pour faire progresser un tant soit peu, ne serait-ce que sur le plan musical, l'Humanité. En d'autres termes tous ces tristes individus refusent l'amélioration des processus culturels d'hominisation continue depuis le néolithique inférieur. Signes inquiétants d'une régression galopante de notre espèce vers le stade larvaire. Nous vivons les temps de la fin, et tout cela par la faute du rock'n'roll dont nous sommes nous-mêmes les agents propagateurs. Bref, vive le rock'n'roll !

    NO HIT MAKERS

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Davantage psycho que rockabilly ce soir, totalement No Hit Makers, un set époustouflant. Déjà la balance promettait. Ce cliquettement de la contrebasse de Larbi, l'on aurait dit qu'il agitait une crécelle de lépreux pour prévenir du danger, cet envol solitaire de la Gretsch sèche, orange curaçao, à ouïe triangulaire d'Eric, ces poinçons provocateurs de Jérôme à la batterie, et ces effilés cordiques de Vincent sur sa 6120, paraissaient de bon augure. Mais là, sans préavis, ce fut une grande flamme. D'un seul souffle. Un incendie à dévaster la taïga de Sibérie.

    L'a la voix magique Eric, vous soulève, vous emporte, et derrière c'est la galopade effrénée. Vous scotchent du début à la fin, monopolisent l'attention, un combo fou en partance dans les grands vents. Tous ensemble ne forment plus qu'une identité électrique et lyrique d'une force incroyable, atteignent à une espèce de fuselage de beauté propulsive dévastatrice. Des enchanteurs – pourrissants précisait Apollinaire qui s'y connaissait en ces moments où l'instant semble se désolidariser de la réalité, où l'image va plus vite que le film, où vous devenez captifs des rets incendiaires de la poésie. Larbi ne lambine pas au turbin, penché sur sa contrebasse, le visage soucieux d'un mécanicien courbé sur les rouages de la machine à explorer le temps, l'est le grand régulateur, le balancier inexorable des plus hautes perturbations, l'axe mobile du monde qui court sur son aire, marque la cadence immuable de la décadence de toute chose à rouler sans fin vers le néant sans cesse retardé de son anéantissement. C'est sur cette course inexorable du destin que Jérôme fragmente et accélère le raid sauvage. Bouscule le rythme, le traque, le poursuit, le talonne, le pousse en avant, le métamorphose en irruption instantanée, l'est partout à la fois, tombe sur les toms comme la grêle sur le blé, comme l'orage cingle la cime des arbres avant d'éclater en boules de feu. Je ne garde de Vincent que le souvenir du geste de se saisir du bigsby, de ce léger raidissement du corps et du riff qui s'exhausse en une autre dimension, qui se revêt d'une ampleur démesurée, alors que les doigts s'affairent déjà à propulser une autre fraction vibrionnante de la temporalité. Vincent en homme pressé qui ne rate jamais les virages en épingle à cheveux des armatures musicales complexes, l'a fort à faire pour soutenir la cadence rythmique impulsée par l'électro-acoustique d'Eric, une fusée luisante qui fuit et se profile dans l'espace, et ce chant qui s'amplifie et s'élargit tel un essaim d'abeilles qui prend son essor et se déploie interminablement au-dessus des herbes et au-travers des bois.

    No Hit Makers en Soldier of peace défonce The Doors of Heaven, qu'ils traversent sans s'attarder, savent ce qu'ils font, sont sur El Camino Real, la piste royale et mordorée qui amène le rock sur les plus hauts alpages, le timbre si particulier d'Eric, avec au milieu cette légère brisure qui lui permet de s'insinuer dans les anfractuosités les plus intimes de votre sensibilité, d'éveiller et d'exhumer de leur linceul les anciens fantômes de votre existence oubliée, vous révèle à lui-même.

    L'ouragan s'arrêtera aussi brusquement qu'il avait commencé. N'ont joué que treize morceaux, les voix s'élèvent pour exiger plus, mais non, sont modestes, décident de céder la place aux copains. Laissent le public médusé. Ont marqué les esprits. Sidérant.

    2SISTERS

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Jusqu'au moment où les 2Sisters débutent leur intervention, ils ressemblent à peu près à tout le monde. Le batteur qui s'assied derrière sa batterie sans ostentation particulière avec cette patiente placidité des employés de la poste qui s'installent pour une longue journée de labeur peu palpitant à leur guichet, le chanteur qui vaque aux quatre coins de la salle, genre du gars pas trop concerné par l'affaire en cours, un bassiste qui égrène mezzo-mezzo quelques notes – mais point trop n'en faut – pour le sound-check, n'y a que le guitariste qui vous azimute de temps en temps d'un riff saignant, juste pour vous rappeler qu'ils sont tout de même un groupe de rock'n'roll.

    C'est juste, après dès qu'ils commencent, qu'il faut appeler le samu et retenir d'urgence une cellule capitonnée à Charenton. Hélas il est trop tard. Si vous avez un regard distrait, rien ne vous choquera, mais si vous observez avec l'attention du renard qui guette sa proie, vous ne tarderez pas à remarquer quelques signes inquiétants, preuves irréfutables de démence avancée. Certes le tintamarre est irrémédiable, nous l'évoquerons plus loin, pour le moment nous nous intéressons des cas cliniques. Carton plein. Quatre sur quatre ! Commençons par les deux cas de schizophrénie aigüe. Le batteur, un punch terrible, un fracasseur, un moulin à boucan, un concasseur, à lui tout seul il dépasse le maximum de décibels autorisés par l'Organisation Mondiale de la Santé, à l'oreille vous vous attendez à voir une espèce de zigue survolté, une pile atomique en train d'exploser, un speedé qui agite mille bras à l'instar d'un Shiva hindouïste, que nenni, vous fout le zbeul sans se presser, un serveur stylé qui se penche avec componction vers Tante Agathe pour lui présenter poliment la corbeille à pain, vous passe les breaks en pilotage automatique sans avoir l'air d'y penser. Le chanteur, s'est quand même souvenu qu'il était là pour chanter, l'a rejoint son micro, l'a tourné deux fois autour – il cherche ses marques avez-vous marmonné à mi-voix pour vous-même, de toutes les manières dans la tempête force 10 vous auriez pu hurler, personne ne vous aurait entendu – vous vous l'imaginez déjà en iguane ( mais en plus déchiré ), mais non, s'accoude au cromi, n'en bougera plus de tout le set, vous prend l'air inspiré de Jim Morrison, et vous entonne des chants de guerre totale et de scalps à vif avec l'air de réciter des patenôtres.

    Reste les deux autres cas, beaucoup plus problématiques. Un comportement rare, qui intrigue les scientifiques, en terminologie médicale l'on nomme ce genre de phénomène : zombiidie alternative, plus explicitement nous parlerons d'échange de personnalité. Je simplifie : le bassiste se prend pour le lead guitar. Normalement devrait placer ses lignes de basse comme le pêcheur qui s'occupe de ses cannes à pêche, pénardos sur son tabouret, ben non, n'en finit pas de triturer le moulinet. L'entremêle les fils de multiples manières, vous invente de ces nœuds de serpents dont jamais personne avant lui n'avait pensé à oser la possibilité de l'existence. Un instable, incapable de rester tranquille dix secondes, brise tout, casse tout, mélange tout, d'une incohérence redoutable, soyons honnête le résultat n'est pas détestable, l'est même des plus incroyablement inventifs, mais enfin ces poses de guitar-heros, sûr qu'il a de la prestance, est-ce bien raisonnable ? Le deuxième membre de ce couple transgressif n'est guère mieux loti. Normalement c'est le soliste. L'adopte instinctivement la cambrure du bassiste voûté sur sa basse. Baisse la tête, l'on ne voit plus que ces cheveux frisés, et c'est là que l'on peut juger du désastre. Un monomaniaque, un miauleur de riffs, un catapulteur de riffs, un répétiteur de riffs, je vous prie d'excuser ces répétitions, mais c'est un obnubilé du riff, un fanatriff, vous en invente un toutes les dix secondes, des pointus qui vrillent les oreilles, des ultra-soniques qui vous grillent la comprenette, des aigus qui vous trillent le tympan, le pire c'est qu'en catimini vous adressez une prière au bon dieu pour qu'il n'arrête jamais.

    Vous ne voyez peut-être pas le tableau mais vous l'entendez. Des possédés, des déments, des frères kramés du zof, le rock'n'roll s'est abattu sur les 2Sisters comme la misère sur les pauvres, la vieillesse sur les retraités, la maladie sur les éclopés et l'impôt sur le peuple. Z'ont les titres qui marchent avec : Wake Up, Booze & Pills, Down, Rodeo Sex, autant de cancrelats électriques qui squattent à jamais votre cerveau et commencent à grignoter la matière grise que vous n'avez pas. Dégâts irréparables. Et bien entendu, vu le charivari du public tout le monde s'en moque et en redemande. Du rock destroy comme vous en rêvez, comme vous en crevez quand vous n'avez pas eu votre dose hebdomadaire.

    Little 2Sisters don't you kiss me once or twice !

    BRAIN EATERS

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    La malédiction des Brain Eaters tombe sur nous. Inutile de prier pour notre salut. Le diable ne reconnaîtra aucun de nous, c'est ainsi que nous verrons la double perfidie du Devil. In Disguise. Heavy JC est à la guitare et sous sa casquette. Spunky le premier morceau est pour lui, pour nous montrer ce qu'il peut faire à la guitare, un petit instru en guise d'intro sixties-rock pour se dégourdir les doigts, et nous mettre dans l'ambiance festive des vacances insouciantes. Terminé, Prof Boubou prend le micro. Ne soyez pas induit en erreur par le majestueux titre de prof, n'a pas ouvert la bouche qu'il saute déjà comme un zébulon sur des ressorts en titane, ce qui ne l'empêche pas par la suite de s'époumoner dans le micro, doit posséder deux réseaux corporels totalement autonomes et indépendants l'un de l'autre, le vocal stentor et le physique gymnastor. Soyons scrupuleux, ses collègues se révèleront être de véritables pousse-au-crime, lui envoient des scuds qui vous vident l'appartement du Motel Hell à la dynamite, lui lancent aux trousses un Lobo Loco furieux, l'inscrivent d'office dans un Jaybird Safari mortel. Du coup Boubou met les bouts, se mêle à la foule ondoyante, se sent pousser des ailes, et s'en va se percher sur le comptoir, je ne le vois plus, l'a disparu, certes on l'entend encore roucouler et glousser à grand gosier, mais cette subite évaporation demande enquête, n'est pas loin, funambulise tout le long du bar, doit se prendre pour un mannequin de chez Dior qui défile sur un tapis rouge, n'en a pas la maigreur étique, mais il exsude d'un tel charisme chamanique qu'on lui pardonne. Rejoint d'un saut allègre le plancher des vaches depuis lequel le public en délire l'admirait déambuler entre les verres sales, les coupes vides, rejoint la scène, l'a une déclaration nécessaire à la survie générale à proclamer, c'est court mais efficace : les Brain Eaters vont avoir l'honneur de nous interpréter Wham Bam Bam, le wham je ne sais pas, mais le Bam Bam nous l'administrent à haute dose, Megadom aux drums tape à fissurer le macadam et Muskrat écrase les débris d'une basse excavatrice. Le combo tourne à fond, éprouve – officiellement – le désir d'atténuer la chienlit, ce sera Cool It, Baby, officieusement entre nous, une tuerie aussi énervée que la précédente, à arracher les platanes de toutes les cours de récréation de France et de Navarre. Le set se termine en un pandémonium effroyable. Ont dû gratifier les fans enthousiastes de trois rappels, sans quoi dans l'exaltation générale ils risquaient le lynchage collectif. Que voulez-vous, c'est de leur faute, ça leur apprendra à donner le mauvais exemple, pour un peu ces Brain Eaters on les bouffait tout crus.

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes )

     

    KRONIK N° 14

    ( Septembre 2017 )

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    SYL / NEMO / KEN MALLAR / JP TOM & ALEXIS HASSLER / MIMI TRAILLETTE / VIRGINIE B &BENJOSAN / JOKOKO / EL PRIMATE & PIERRE TURGY / CAMILLE PULL - KENNY OZIER – MARCO RICARDI / AURELIO / CHESTER & MO/CDM / MELI / GROMAIN / BEUH & LENTé CHRIST / MADAME GRULIK / TUSHGUN / GWEN TOMAHAWK / PAT PUJOL / AMAURY & EMILIE.

    Je tiens mes promesses, Jokoko la semaine derrière, Kronik ce coup-ci. Jokoko encore aux manettes. L'est le président de l'Association qui regroupe un ramassis éhonté d'artistes punktoëzidaux, qui depuis dix ans maintiennent en vie envers et contre tout cette revue semestrielle. N'ont pas dû manger tous les jours durant ces longues années, des affamés, pour leurs dix bougies, se sont offerts le gueulet(h)on de l'année, nos mitrons ont mitonné un spécial-bouffe !

    Juste un problème. Epicé. Rien qu'à regarder les couleurs, vous courez aux gogues rendre tripes et boyaux. Font la cuisine aux colorants. Confitures de roses pétants et yaourts bleu-pétunia. Oranges pourris, verts crus et jaunes blets. Ne sont pas amis-amis avec le pastel, préfèrent le flashy flamboyant. Pour la barbaque, la servent saignante, abattue sous vos yeux, une préférence pour la chair humaine, mais ne sont pas racistes, vous niaquent tout aussi bien le chien et le chat, quant à la pomme ils vous la croquent avec le serpent.

    Pas très ragoûtant, tous ces dessins qui ondulent de partout et qui grouillent de gruaux mal cuits, vous en prendrez bien un chouïa, et ma foi vous devez vous avouer que ce n'est pas mauvais, vous vous étranglez à chaque bouchée, ça vous arrache la gueule, tant pis, vous y revenez et réclamez du rab. Philosophiquement parlant, vous vous apercevez que comparée à l'acte sexuel, la bouffe est beaucoup plus proche de thanatos que l'éros. L'on n'avale que du cadavre. Tout le monde y passe. Qu'on le veuille ou non. De toutes les manières le rêve fou du végétalien, le désir secret du végétarien, n'est-il pas le beef barbare, le steak tartare ? Au soleil vert écologique des films de science-fiction, nos bédéïstes substituent sans remords l'astre rouge sang de la chair non plus désirée mais déchirée.

    Punk's not dead. La preuve, à l'heure du véganisme triomphant, savent encore rire d'eux-même. Une BD qui se dévore des yeux. Toute crue. Bon appétit.

    Damie Chad.

    NEVERMIND ZE CUIZINE

    ( Février 2007 )

    kim salmon,boss goodman,rocket bucket,high on wheels,stoned void,no hit makers,2sisters,brain eaters,kronik & ko

    Du même acabit. Du même format. Du même esprit. Les risettes du dérisoire. Le risotto de la passoire. Se sont regroupés, toute une flopée d'argousins, j'ai même reconnu dans le menu de l'ours le nom de Larbi, le contrebassiste des No Hit Makers. Vous connaissez le proverbe chinois. Ne donne pas un poisson à l'homme qui a faim, apprends-lui à pêcher. Sagesse séculaire, mais à courte-vue. Le poisson cru, à part ces sauvages de japs... S'agit pas de pécho le cabillaud, faut encore le préparer. D'où cette idée d'un livre de boustifaille. Sérieux comme des papes, de véritables recettes, des vite-faites, bien-faites, ce ne sont que des punks, donc par définitions ils ne sont pas riches, z'ont peut-être des beaux culs mais ne sont pas Bocuse, des plats tout simples, économiques, peu d'ingrédients et roboratifs. Pour les très maladroits vous avez les pâtes à l'eau, pour ceux qui visent plus haut les lentilles fumées aux saucisses.

    Mais la cuisine, c'est comme la main verte, ou vous l'avez ou vous ne l'avez pas. Tout est dans la présentation. Les dessins, les couleurs, les commentaires, la gousse d'ail qui vous transforme le gigot d'agneau en délice. Des Dieux. Tellement bien parfumé que vous le dévorerez sans avoir faim. Et puis pour les punk-rokers, le maître-queux qui a préfacé la tambouille n'est autre que Schultz !

    Et surtout n'oubliez pas, c'est écrit sur le bandeau de couverture : '' Popote's Not Dead''

    Damie Chad.